Culture
CasArts et colères noires
à€ Casablanca, les travaux de terrassement du Grand théà¢tre CasArts ont commencé, au grand dam d’associations furieuses contre ce qu’elles appellent le «massacre» de leur patrimoine végétal et historique.

Moussa Sirajeddine partage rageusement des photos de tronçonneuses, de tractopelles et d’arbres coupés sur Facebook : depuis quelque temps, le militant associatif voit en effet s’activer les engins du projet CasArts au vieux centre-ville de Casablanca.
Les machines, prévient le président de l’association Awlad L’Mdina, ont déjà méticuleusement rasé un terrain situé dans la rue Abderrahmane Sahraoui, à quelques pas de l’emblématique place des pigeons. Envolée, la demeure de l’ancien résident général qu’abritait ce site, «un bel échantillon de notre patrimoine architectural, comme la majorité des bâtiments concentrés autour de la place». Disparus, les dizaines de phœnix (de beaux et robustes palmiers, vous diront les botanistes) et les non-moins majestueux ficus et eucalyptus qui peuplaient l’endroit. «Les premiers arbres ont été abattus le week-end du 22 au 23 décembre 2012, témoigne M. Sirajeddine. Ce saccage de nos richesses naturelles intervient alors que Casablanca souffre d’un manque chronique d’espaces verts et que les Nations Unies attestent du rôle des villes dans le maintien de la biodiversité».
Le militant ne peut s’empêcher de penser à ces grandes métropoles qui, comme New York, Montréal, Rio ou Tokyo, se réinventent pour survivre, troquent l’acier, le verre contre la verdure -Arte a réalisé un excellent documentaire sur la question : Naturopolis, disponible sur Youtube.
«Plus de 50% des espèces florales de Belgique peuvent être trouvées à Bruxelles, alors que 65% des oiseaux de Pologne se retrouvent à Varsovie», énumère l’association Awlad L’Mdina dans un dossier très étoffé qu’elle nous a fait parvenir.
Casablanca est-elle con-damnée à voir fleurir le ciment et mourir sa végétation ? Pour une partie de la société civile, le chantier du Grand théâtre illustre cette politique de bétonisation de la ville au détriment de l’environnement, de la santé et du confort des citoyens.
La société civile contre Casa Aménagement
«À la villa Moulay Abderrahmane, des palmiers ont été brûlés pour pouvoir établir un PV falsifié attestant que ces arbres sont malades. Un prétexte qui a justifié l’extermination de toutes les autres espèces, qui ont été vendues à des fours après débitage», condamne l’association Awlad L’Mdina, photos d’arbres réduits en rondins à l’appui. Sur Facebook, des internautes fulminent : «Si ce virus existait réellement, pourquoi ces arbres sont-ils restés là pendant toutes ces décennies ? Pourquoi ce virus ne s’est-il pas aussi attaqué aux arbres de la Place Rachidi et à ceux du parc de la Ligue Arabe ? À ma connaissance, un virus ne va pas hésiter à traverser le boulevard Rachidi, il ferait fi de l’existence d’un agent de la circulation ou d’un feu rouge !», raille Touria Zehaichi, militante d’une autre association.
Des accusations vigoureusement démenties par Casa Aménagement, le maître d’ouvrage délégué du projet. «Les arbres n’ont pas été saccagés. Certains palmiers malades ont été brûlés mais nous avons pu replanter la majorité, au moins 70% de ces arbres, dans d’autres boulevards de la ville», assure Driss Moulay Rachid, le directeur général de Casa Aménagement.
Autre point de discorde, peut-être le plus crucial : les «réaménagements» urbains que nécessitera la construction du CasArts, comme le «déplacement» de la fameuse fontaine lumineuse, un lieu chargé de souvenirs pour les Casablancais, afin de laisser place à «un espace public servant à abriter des événements en plein air sur une scène d’une capacité de 15 000 personnes», affirme au site Yabiladi.com Mohamed Sajid, le président du Conseil de la ville.
«Ce terme de déplacement ne sert qu’à induire en erreur car la fontaine n’a pas été montée pièce par pièce pour pouvoir être démontée et remontée ailleurs, elle a bien été scellée sur place !», s’insurge Moussa Sirajeddine. «Cette fontaine, construite à la fin des années 1960, s’est parfaitement inscrite dans la place.
Nous tenons à ce que ce monument soit maintenu à sa place, et ce, pour les valeurs historique et patrimoniale qu’il possède».
À Casa Aménagement, Driss Moulay Rachid se demande «si on peut parler de patrimoine pour une fontaine érigée dans les années soixante». Cependant, pour sa «valeur sentimentale et symbolique», le responsable étudie avec les architectes Rachid Andaloussi et Christian de Portzamparc la possibilité d’«intégrer» la fontaine au projet. «Aucune décision définitive n’a été prise à ce sujet», temporise My Rachid, à cinq mois du début des travaux, censés durer 40 mois.
En attendant, les militants associatifs ne baissent pas la garde. Une lettre incendiaire a été adressée le 6 juin aux conseillers de la Ville, leur demandant d’«assumer les responsabilités qui [leur] incombent de par le vote des Casablancais, écrit Moussa Sirajeddine. «Pour cela, nous vous rendons responsables devant l’Histoire et nous vous demandons de contrer toutes les conspirations qui se trament contre Casablanca et auxquelles est exposé son patrimoine qui est défiguré ou détruit».
