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Culture

Bibliothèques municipales, mortes et enterrées !

C’est presque un requiem. Les bibliothèques de Casablanca semblent, depuis quelques années, être le récit d’un passé décomposé. Les lieux sont devenus des murs sans âmes. La désaffection est réelle, mais c’est d’une vision salutaire pour les faire renaître de leurs cendres ! Zoom sur le cas de Casablanca qui n’est au fond qu’un exemple.

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Les bibliothèques municipales? Peut-être que, aujourd’hui, cela ne dit plus grand-chose à beaucoup de monde. Pourtant, dans une autre vie, pas aussi lointaine que ça, ces lieux étaient des espaces d’apprentissage, d’échanges, voire de socialisation. Notamment, pour les jeunes, particulièrement pour les élèves, les étudiantes et les étudiants.
On n’en est plus dans le temps où ces lieux étaient pleins à craquer. Une situation qui a duré pendant des années quand tous les arrondissements (à l’époque les communes) disposaient d’au moins une bibliothèque sur le territoire de la métropole. Le cas, notamment, de Sidi Belyout qui, outre le site inclus dans le siège de l’arrondissement, avait plus d’une annexe, citons, à titre illustratif celui du Parc de la Ligue Arabe et l’autre sur le Boulevard Ziraoui. L’annexe de la Casablancaise est sous les décombres et celle de Ziraoui a été reconvertie en «Nadi Niswi»! Conséquence ? Il n’y a plus que le site principal, bâti au milieu des années 1980, qui fait de la résilience. Et, visiblement, de bonne manière. Le lieu est bien entretenu, la Médiathèque, les tables, les chaises et le sol. Les rayons sont bien fournis et sur place les responsables parlent de milliers de titres à même d’intéresser élèves et étudiants. Le lieu est ouvert pour dix dirhams l’année. Par précaution, et cela se comprend, pas de prêt de livres mais la consultation sur place est de mise. Et puis, on nous assure que les acquisitions se font chaque année en respect de la rubrique «Achat de livres» figurant dans l’ossature du budget de l’Arrondissement ! Si ça se trouve, il faut bien reconnaître que Sidi Belyout a de la chance par rapport à d’autres arrondissements de Casablanca.

Désert !

En effet, au cours des dernières années on dirait que l’idée même d’une bibliothèque municipale a été quasiment «morte et enterrée», nous dit, amer, un ancien élu local du côté du quartier Sidi Othman.
La preuve, nous informe un responsable, en est que l’on ne procède pratiquement plus à l’acquisition de livres depuis des années. Certes, la désaffection massive des «usagers» y est pour quelque chose. Notamment du fait que les jeunes sont de plus en plus «addicted» aux nouvelles technologies et, partant, les modes de consommation de l’écrit ont changé de paradigme. À telle enseigne que certains bureaux d’arrondissements seraient même tentés de baisser, tout simplement les rideaux de ces lieux qu’ils estiment coûteux et sans impact ! Du coup, on redéploie les fonds vers d’autres activités davantage prioritaires au moment où le souci serait de répondre aux besoins dits pressants des populations.
Nonobstant la réalité objective, cela ne devrait pas être synonyme de «jeter le bébé avec l’eau de bain», dit-il, tout en citant l’exemple des différents terrains de proximité, «importants certes mais qui pourraient bien cohabiter harmonieusement avec les lieux de culture !»

L’utile et l’agréable !

Or, tempère le même responsable, c’est mal prendre l’importance d’une bibliothèque dans le tissu urbain et sa capacité de transformer le vécu de jeunes des différents quartiers de la ville, que de «décréter» qu’elle ne sert à rien. D’autant plus que la seule existence d’un lieu de culture pourrait séduire, même à terme, une frange d’une jeunesse désemparée. Surtout quand celle-ci trouve refuge dans les bibliothèques à la veille des examens. Une équation à résoudre pour joindre l’utile à l’agréable.
C’est que, en définitive, «les bibliothèques de Casablanca sont devenues, au fil des dernières années, des coquilles vides, même celles relevant de certains complexes culturels. Des murs atones et sans âme, à défaut d’une réelle prise de conscience de leur importance dans la vie et l’animation de la ville.
En fait, et on a tendance à l’oublier, une bibliothèque n’est pas seulement un lieu où on vient réviser, lire ou emprunter des livres. Plus que cela, nous rappelle un autre responsable dans l’arrondissement de Ain-Chock qui plus est féru de culture, «une bibliothèque est censée être au cœur des préoccupations des élus locaux, car il s’agit d’un espace d’ouverture, d’épanouissement et de rayonnement». Mieux encore, ajoute-t-il, «le rôle des décideurs ne devrait pas être réduit à acheter quelques exemplaires, organiser une présentation ou une signature de deux ou trois livres par an, offrir du thé, du café et quelques gâteaux à l’occasion et s’en laver les mains avec le sentiment du devoir accompli». «La promotion de la lecture, et par conséquent de la culture, exige de la planification !»
Faut-il citer des modèles réussis sous d’autres cieux ? Comparaison n’est pas raison, mais quand on voit ce qui s’entreprend sous d’autres cieux (Québec, Egypte, France où ça fonctionne en réseaux), on se dit qu’il y a lieu de faire un peu plus d’efforts.

Dégât collatéral et résilience

Malgré la situation exacerbée depuis une décennie, hormis la période où l’on avait assisté à l’amorce d’une démarche résolument orientée vers des activités autour de la promotion de «la lecture de proximité», avec la naissance de plusieurs complexes culturels et leurs pendants de bibliothèques, l’on a comme l’impression que la dynamique s’est essoufflée. La dernière décennie aura connu l’exacerbation d’une tendance induite par les nouvelles technologies et l’absence d’une vision pour que nos jeunes restent en contact avec le livre. Avec l’écrit! Les fonds se sont faits plus rares. Et le peu qui restait a été redéployé ailleurs pour plus «séduisant» ! En cours de route, les carnets de commandes de certaines librairies sont de plus en plus maigres, alors que les acquisitions de ces bibliothèques présentaient jusqu’à 25% de leurs chiffres d’affaires. Un dégât collatéral qui risque d’envoyer du monde vers la banqueroute.
Ceci étant, il y a encore, dans la métropole, des lieux qui résistent et offrent des alternatives. En effet, outre certaines représentations étrangères, ainsi que la Fondation Al Saoud, la Médiathèque de la Mosquée Hassan II représente un bel exemple que les «férus du livre» ne sont pas des Mohicans. Ils sont parmi nous, jeunes, plus jeunes et moins jeunes. Si des institutions auraient pratiquement «démissionné», la Médiathèque offre le contre-exemple que l’écrit n’intéresse plus personne.