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Culture

Baà¢zizi : un visage connu, une carrière méconnue

Oujoud Boujemà¢a, alias Baà¢zizi, a débuté sa carrière dans la troupe de Bouchaïb El Bidaoui dans les années 50.
Il s’est produit devant Mohammed V et Hassan II et continue d’animer les mariages et les fêtes des Casablancais.
Il a joué dans d’innombrables films. Les gens le connaissent dans l’éternel rôle de Messaoud, le serviteur.

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Il n’avait que quatorze ans lorsqu’il a rejoint la troupe mythique de Bouchaïb El Bidaoui. C’était en 1952 ! Que de chemin parcouru depuis, que de villes visitées, que de rencontres… Il a fait rire les rois et les paysans, les riches et les pauvres, animé les mariages et les soirées officielles. La vie de Oujoud Boujemâa, alias Baâzizi, est à écouter. C’est un homme qui croit en son métier, un métier qu’il ne départit jamais de sa vie privée, les deux s’imbriquant trop étroitement. La comédie, le théâtre, c’est sa sève, il s’en nourrit au quotidien. Les cinémas, les tournées, les mariages…c’est ça qui a rythmé sa vie. Et le reste… c’est beaucoup moins important.
Comme beaucoup de comédiens de son époque, Oujoud Boujemâa a commencé à jouer presque par hasard. «On n’avait trouvé personne pour jouer le rôle du serviteur. Quand Bouchaïb m’a demandé de jouer avec lui, je n’avais même pas compris le sens du mot tamtil», se souvient-il. Il s’est jeté sous les feux de la rampe sans trop se poser de questions. De toute façon, à l’époque, il était urgent d’agir, de parler la langue du peuple. Tout se faisait à l’instinct et ça marchait ! «Nous avions bien vécu modestement mais dans la joie. Il faut dire qu’on ne manquait de rien. On répétait chez Abbas Laâlej. Ce dernier m’avait vu jouer avec Bouchaïb, il m’a proposé 15 DH pour jouer à la radio et 30 DH au théâtre ! A cette époque, c’était beaucoup d’argent. Je n’ai pas hésité un seul instant et c’est comme ça que j’ai rejoint officiellement la troupe».
Tout le monde se souvient ou a déjà entendu parler du rendez-vous radiophonique incontournable du dimanche matin en compagnie de «Oummi El Harnounia»…personnage mythique créé par Bouchaib El Bidaoui. C’était en ces temps où les hommes se déguisaient en femmes, s’habillaient en caftan. Des sketchs acides mais toujours drôles, des situations pittoresques, légères dans lesquelles le public se reconnaissait. «Il n’y avait pas de comédiennes à l’époque. On se déguisait naturellement, on mettait des caftans, des perruques, c’était dans l’ordre des choses», confie-t-il. Les yeux humides, comme au bord des larmes mais le sourire pour rassurer, c’est ainsi que cet homme, ce personnage, raconte une vie passée sur les planches. Il n’est jamais sorti de son rôle ou très peu. Un jeu qu’il s’est approprié au point qu’il a fini par lui coller à la peau. D’ailleurs, il en a gardé l’accent. Il suffit de le lui rappeler pour que les souvenirs ressurgissent, «Lorsque j’ai joué devant le Roi Mohammed V, il m’avait demandé si ce rôle ne me gênait pas. C’est mon rôle !, ai-je rétorqué. Pour moi c’était tout à fait naturel de jouer ce rôle de serviteur». Un rôle qu’il va continuer à jouer de longues années durant. Mais derrière Messaoud le serviteur, il y avait Messaoud le résistant. «Mon véritable rôle était d’espionner les Français chez qui je travaillais. A ce moment-là, nous répétions dans une maison qu’on appelait Dar Sinigal à Derb El Akari».
Dans la troupe, les talents étaient variés. Les comédiens ne se contentaient pas d’apprendre leur texte mais le jeu leur appartenait aussi. L’improvisation était toujours présente, le texte n’étant qu’une première étape.
L’homme des planches, le comique, ne se départit jamais de son sourire, qui est devenu, d’ailleurs, sa marque de fabrique. Il se moque de tout et surtout de lui-même, de la couleur de sa peau. «Mon véritable prénom est Noureddine, dit-il un jour à son ami Ahmed El Kadmiri pour le taquiner. Ce dernier rétorqua aussitôt : «Si telle est la couleur de la lumière qu’en est-il du goudron ?», une histoire qu’il aime à raconter et qui le fait toujours rire aux éclats.
Au fil des ans, Oujoud Boujemâa est devenu une icône. Sur son passage, les gens se retournent, le saluent. Mais peu importe les regards qui l’entourent, ici tout le monde le connaît, il est chez lui, dans sa ville, dans le café qu’il fréquente depuis toujours au cœur de Casablanca. Ce bon vieux Casablanca qu’il admire en sirotant son thé. Il habite toujours à la même adresse, il est né dans la médina et rien n’a pu le déloger des lieux de son enfance. Il est comme il le dit fièrement, «Bidaoui». Tous les jours, il vient s’asseoir dans ce jardin au cœur de la ville, à l’endroit même où trônait l’ancien théâtre de Casablanca. Car c’est ici qu’il a vécu, c’est ici qu’il est devenu comédien. C’est ici que la troupe s’est constituée avec Bouchaïb El Bidaoui, Abbas Laâlej, Lahbib Kadmiri (mort en 1957 et frère de Ahmed, qui a pris la relève). Abderahmane Souiri, Driss Abbas, Ahmed El Jamali, Abdessalam El Meknassi, Mfaddel Lahrizi et le célébrissime Maréchal Kebbou. C’était la troupe de Bouchaïb El Bidaoui. De ses partenaires, il garde les plus beaux des souvenirs. «Le mardi était réservé aux répétitions, on lisait les textes à l’italienne. Derrière le théâtre municipal, il y avait le siège de la radio et le dimanche matin à 11 heures, c’était l’heure de la diffusion. La voix de Bouchaïb El Bidaoui ou de Kadmiri interrompait tout négoce. A l’époque ce n’était pas le foot qui rassemblait mais les rendez-vous hebdomadaires de la radio, c’était la belle époque». Cette belle époque il la situe approximativement en 1956. Car Baâzizi ne retient pas les dates, une année, ou une décennie, «peu importe», dit-il. Ce qui compte par contre, c’est ce pouvoir qu’il a de restituer les émotions qu’il a vécues. Pourtant, il y a une date dont il se souvient avec exactitude. «Six mois après la mort de Mohammed V, nous avions été interpellés par la police. Nous nous sommes retrouvés au commissariat, où nous avons dû déposer nos empreintes. Puis on nous a emmenés à l’aéroport. De Fès nous avions pris la route à destination d’ Ifrane. C’est là que nous avons compris que c’était le Roi Hassan II qui avait demandé à nous voir. Notre troupe a joué ses pièces habituelles et l’orchestre a chanté pour le Roi qui, des fois, accompagnait avec l’accordéon et, des fois, avec le bendir». Une rencontre qui l’a marqué et dont il parle non sans une pointe de fierté. De retour à Casablanca après cette mémorable rencontre, la troupe a repris sa vie de tous les jours, rythmée de fêtes et de mariages. «On ne parlait jamais argent, on ne négociait rien. On était tellement contents lorsque les gens nous appelaient, c’était ça notre satisfaction !».

Les débuts du cinéma et de la télévision

Les années 60 ont apporté un nouveau souffle à la troupe qui se produisait alors dans les salles de cinéma. Leur notoriété était bien établie et leur créativité surprenait à chaque fois. «On jouait au cinéma El Kawakib des petits sketchs, ensuite on se retirait pour laisser place à l’orchestre avant que commence le film. On jouait au Verdun aussi, il n’y avait pas encore de télévision. Et puis, on était des fêtards, à Casablanca, la troupe de Bouchaïb El Bidaoui était indispensable dans les fêtes… », renchérit-il !   
Avec l’arrivée de la télévision, le rôle de Messaoud le serviteur a continué de rassembler les spectateurs et n’a pris aucune ride. Mais un jour, «celui qui jouait le rôle d’El Harnounia était absent. Comme j’avais appris ce rôle par cœur, je l’ai joué et c’est comme ça qu’est née Oum El Kheir, la servante. Un personnage qui a eu énormément de succès».
Baâzizi découvre les joies du cinéma en 1961 avec Les enfants du soleil (film franco-marocain de Jacques Séverac, sorti en 1962). De ce film, il a gardé une photo qu’il conserve précieusement dans un petit album. Cette année de découverte est surtout  une mauvaise année pour la troupe de Bouchaïb El Bidaoui. «Un samedi soir, à trois heures du matin, on m’a annoncé la mort de Abbas Laâlaj. Il est mort en regardant la télé assis sur son fauteuil». Les sketchs comiques ont cédé la place au tragique, l’auteur principal s’en est allé, il sera suivi en 1965 de Bouchaïb El Bidaoui qui partira après une longue maladie. Et puis c’est Abderrahmane Souiri qui s’éteint. En 1974, «nous avions perdu le célèbre violoniste, le Maréchal Kebbou, j’étais en pèlerinage». En 1982, la mort rappellera Ahmed El Kadmiri. Une génération s’est éteinte. De ses compagnons des planches il en reste très peu. «Abdesslam El Meknassi est bien malade», se désole-t-il. «Et Ahmed El Jamali qui jouait toujours le rôle du chelh est encore parmi nous, Dieu merci».  
Oujoud Boujemâa s’est tourné, par la force des choses, vers le cinéma. Il n’a pas compté les films dans lesquels il a joué. Parfois, c’est le réalisateur qui l’a marqué, parfois c’est son rôle ou l’équipe de tournage. Il en a oublié beaucoup…De ceux dont il se souvient encore : Le retour de la panthère rose (film américano-britannique réalisé par Blake Edwards, sorti en 1975). La bataille des Trois Rois (1991) et Les amants de Mogador (2002) (les deux films ont été réalisés par Souheil Ben Barka). Depuis quelque temps, il fait de la publicité pour une marque de thé. C’est Monsieur thé national. Il continue, par ailleurs, d’animer les mariages et les fêtes entre deux tournages.