Culture
«Je me voyais réconcilier Israël et la Palestine»
Lors de mes voyages, je me suis heurté à la profonde ignorance de la jeunesse israélienne de l’histoire de leur terre, de ceux qui y habitaient avant eux.

Le film documentaire «My land» est en salle depuis le 16 octobre. Nous avons rencontré Nabil Ayouch lors d’un débat à Casablanca. Une occasion pour en savoir plus sur ses motivations et sur les circonstances de tournage.
Vous avez grandi au sein d’une communauté où se côtoyaient juifs et arabes. Comment viviez-vous votre double identité au quotidien?
En effet, j’ai grandi au cœur d’un conflit vieux comme le monde, tiraillé entre deux identités qui s’affrontent en permanence. J’étais sur un socle mouvant pas très facile à vivre au quotidien. N’empêche que j’avais forgé mes opinions à un très jeune âge. C’était toujours clair dans ma tête: l’injustice était du côté des Palestiniens. Dans le temps, cela me suffisait pour annihiler tout besoin d’en savoir plus sur l’État d’Israël. Mais en grandissant, je commençais à éprouver le besoin de comprendre certains aspects de ce conflit et je ne pouvais me faire ma propre opinion qu’en allant sur place. Alors j’ai franchi le pas.
Quand est-ce que l’idée de faire un film sur le sujet vous est venue?
Longtemps après cette prise de conscience et de ce premier pas vers la compréhension du conflit. Lors de mes voyages, je me suis heurté à la profonde ignorance de la jeunesse israélienne de l’histoire de leur terre, de ceux qui y habitaient avant eux. J’ai pensé alors à l’issue de cette rencontre entre les anciens et nouveaux propriétaires, si elle avait été possible. C’est là que j’ai eu l’idée d’un film sur la mémoire de cette terre qui a connu les deux.
Comment vous vous présentiez à chaque camp?
Tel que je suis : un réalisateur marocain. Bien sûr, je donnais plus de détails à ceux qui en demandaient. Et ceux-là étaient évidemment surpris de prendre connaissance de ma double identité.
Pourquoi ne pas avoir emprunté le chemin inverse, en apportant aux Palestiniens les images et les réponses des Israéliens?
D’abord, parce que j’aurais été facilement tenté de refaire encore une fois le chemin inverse, puis d’un sens à l’autre, et ce, plusieurs fois. De plus, mon but était de rendre compte de la mémoire d’une terre. Ce que j’ai réalisé dans ce film. De toute façon, en visionnant le film, les Palestiniens auront accès à ces images.
A quoi vous attendiez-vous quand vous êtes parti faire ce film? Et quel est votre avis après l’avoir fait?
Je ne cache pas que j’étais naïvement idéaliste et rêveur. Je pensais faire une révolution et me voyais réconcilier les deux peuples grâce à ce dialogue désormais possible. J’en suis revenu abattu et encore plus pessimiste qu’avant… Mais avec un espoir nouveau: si les Etats sont inconciliables, les frontières humaines peuvent bouger. Même chez les plus récalcitrants, j’ai noté une compassion, une sensibilité qu’il serait dommage d’ignorer.
La situation aurait-elle été aussi malheureuse si les Palestiniens avaient été intégrés dans les terres d’accueil?
Bien sûr que non. Cette existence en marge d’une société, sans droit au travail ni espoir de refaire sa vie, ni même papier pour partir ailleurs, y est pour beaucoup dans l’ampleur du malheur palestinien. Malheureusement, les pays d’accueil soutiennent l’idée selon laquelle l’intégration des réfugiés palestiniens pourrait nuire à la cause et réduire leur désir de rentrer dans leur pays.
Rencontrez-vous des réticences à la diffusion du film?
My land n’a pas été reçu avec beaucoup d’enthousiasme d’un côté comme de l’autre. Il y a forcément ceux qui n’ont aucun intérêt à ce que des canaux de communication se créent entre les deux peuples.
Que pensez-vous de ces projets de loi incriminant la normalisation avec Israël?
Autant je soutiens totalement les sanctions économiques, comme moyen de pression sur l’État d’Israël, autant je m’oppose à la rupture des liens sociaux et culturels. D’abord, que faire de cette communauté marocaine de confession juive résidant en Israël? Il me paraît essentiel de préserver ses intérêts légitimes et ses liens familiaux ou religieux avec le Maroc.
Ensuite, parlons culture. Il y a dans chaque librairie un grand nombre d’ouvrages d’auteurs israéliens d’intérêts scientifique et littéraire indéniables. Il y a des films qui franchissent les frontières, dont My land. Va-t-on criminaliser l’échange culturel entre Israël et le Maroc ? Va-t-on couper le seul moyen de faire communiquer les peuples ? Cela ne servira certainement pas la cause palestinienne.
