Culture
Achetez vos tableaux
Acheter des objets d’art à distance, c’est désormais possible grà¢ce à Memoarts. Cette
galerie s’est lancée avec audace dans le commerce électronique, et, selon son propriétaire, Abderrahman Saaidi, ça a l’air de marcher. Elle propose en outre sur son site une rubrique «livres» regroupant tous les ouvrages publiés sur l’art marocain et un service «expertise».

Ily a à peine un an, si vous aviez raconté à un amateur d’art qu’un jour il n’aurait plus besoin, au Maroc, de courir les galeries pour trouver toile à sa convenance, et qu’il pourrait s’en procurer on line, comme on dit en bon français, il n’aurait pas manqué de vous rire au nez. Alors que c’est devenu un geste anodin et quotidien, bien ancré dans la culture commerciale de l’Occident, acheter via internet n’est pas encore entré dans les mœurs marocaines. Sur le web, on échange des messages électroniques, on conte fleurette, on entrechoque les idées, on raconte sa vie, mais on ne fait pas ses emplettes. Le cybermonde du commerce n’est pas près d’envahir nos mentalités ni d’épuiser nos porte-monnaie. Ce qui n’a pas empêché Memoarts de se lancer dans cette aventure, d’autant plus périlleuse qu’elle empoigne un domaine incertain : celui des arts.
Memoarts aspire à mettre en lumière le patrimoine artistique du Maroc
Memoarts est l’enseigne d’une galerie unique, qui vous tend ses cimaises au rez-de-chaussée d’un immeuble fonctionnel de la vétuste rue Abdelkrim Diouri, à Casablanca. L’appellation forme déjà un programme en soi, et quel programme ! Rien moins que la mise en lumière du patrimoine artistique marocain. Le visiteur s’engouffre dans une salle où des tableaux de peintres majeurs voisinent avec des tapis antiques et des meubles délicats, des bijoux finement ciselés parent des vases raffinés, des éditions rares coudoient des manuscrits précieux. Il est saisi par ce bric-à-brac joyeux, chaleureux, coloré, d’où il s’arrache, non sans peine, pour escalader la dizaine de marches qui conduisent à une autre salle dont les murs sont tapissés de toiles. Leur belle facture accroche l’œil, qui s’en délecte. Sous le regard curieux du maître de céans : Abderrahman Saaidi.
Internet offre l’avantage de proposer un espace extensible à l’infini
Avec sa sage coupe de cheveux, sa mise impeccable et ses élégantes manières, Abderrahman Saaidi a plus l’allure d’un grand patron que celle des galeristes, tantôt racoleurs, tantôt geignards. Quand ces derniers prétendent être tombés dans l’art comme Obélix dans la potion magique, lui confesse y être «venu comme un cheveu sur la soupe». Mais s’il ne possède pas un grand savoir artistique, il n’est pas dépourvu du sens de l’esthétique. Fils d’un ébéniste de renom, son enfance a été imprégnée d’odeurs d’alcool et de vernis et trempée dans la belle ouvrage. Du coup, s’est instillée en lui, telle une drogue douce, cette envie d’arpenter marchés aux puces et magasins d’antiquaires pour y chiner à loisir, à la recherche d’objets et de meubles rares. A force de fréquenter l’art, il s’en est épris, au point de vouloir lui consacrer tout le savoir-faire acquis dans son cabinet d’expertise, dans les lambris du ministère de la Privatisation et dans le fauteuil de la direction de la Samir. Peu importe que sa connaissance académique de l’art soit lacunaire, les manques seront largement comblés par le feu sacré qui l’anime. Car, sous sa cuirasse, Abderrahman Saaidi est une tête brûlée, qui se consume pour tout ce qu’il tente. Il fait tout à fond, sans mesure. «Jusqu’ici, j’ai toujours accompli mon travail avec mes tripes», se dévoile-t-il.
Plus à l’aise dans le maniement des chiffres que dans la gymnastique des mots, Abderrahman Saaidi se montre peu loquace. Sauf quand il aborde le sujet de Memoarts. Alors il devient intarissable sans être verbeux, et démonstration en ligne à l’appui. Comment l’idée lui est-elle venue de mettre en ligne des objets d’art ? «Du constat, répond-il, que lorsqu’une personne désire vendre un tableau, elle ne sait pas où aller. Quand quelqu’un veut acheter un objet d’art, il ne sait pas à qui s’adresser. Car, au Maroc, il n’existe pas de marché de l’art, au sens strict du terme. Les amateurs, les collectionneurs, les esthètes sont souvent perdus ou se font berner. Alors je me suis dit que le meilleur moyen de surmonter ces difficultés demeure l’internet». Lequel, de surcroît, offre l’avantage de former un espace extensible à l’infini. «Par rapport à la galerie classique, où l’espace mural est limité, internet possède la vertu de proposer un espace illimité. On peut y exposer autant de peintures qu’on désire. En outre, alors qu’on est obligé de se déplacer vers une galerie pour profiter d’une exposition, c’est celle-ci qui vient vers vous par la voie de l’internet. Donc, ni contrainte d’espace physique ni celle d’espace géographique», souligne M. Saaidi.
Au premier rang des ventes : la peinture orientaliste et figurative
Si le propriétaire de Memoarts illustre souvent ses propos par la peinture, c’est uniquement parce qu’elle représente le secteur le plus achalandé. En fait, l’éventail de son offre est beaucoup plus large : tapis, poteries, bijoux, bibelots, enluminures, manuscrits, ménagères… Etalé sur deux espaces. L’un, dévolu aux artistes, est baptisé «galerie»; l’autre, apanage des propriétaires, s’appelle «salle des ventes». Quand un peintre se présente avec un ou plusieurs de ses tableaux qu’il souhaite vendre, il convient avec Memoarts du prix à en tirer. Celui-ci est fixe. Les œuvres sont alors mises en dépôt dans la galerie virtuelle pour une période déterminée. Une fois écoulées, l’argent est remis au peintre après déduction d’une commission. Au cas où un particulier voudrait vendre une toile, deux possibilités s’offriraient à lui : soit établir un prix fixe, et alors l’œuvre serait versée dans la rubrique galerie, soit la mettre aux enchères, après avoir fixé un minimum, et c’est alors la salle des ventes qui l’accueillerait. Les objets autres que les tableaux ont leur place dans la salle des ventes. Ils sont proposés aux enchères tous les six mois à Memoarts, et en permanence sur le site. Quant au paiement, il s’opère par chèque, remis directement ou envoyé par la poste, lorsque l’acheteur vit au Maroc, s’il se trouve à l’étranger, il passe par une banque avec laquelle Memoarts a établi un accord. Dès que celle-ci garantit le paiement, l’objet acheté est envoyé par la poste. Les objets les plus prisés sont, au premier rang, les tableaux orientalistes et figuratifs, puis vient la poterie, suivie des bijoux, qui devancent les tapis marocains, demandés surtout par les étrangers pendant que les Marocains préfèrent les tapis persans.
A côté de la galerie et de la salle des ventes, le site (www.memoarts.com) de Memoarts renferme une rubrique livres, dans laquelle figurent tous les ouvrages publiés sur l’art marocain. Ne les possédant pas, la galerie se met en rapport avec l’éditeur aussitôt qu’un acheteur se profile sur le Net. Après livraison, elle paie son fournisseur et se fait payer par le client.
L’expertise est un autre service proposé, et pas le moindre. Si un particulier doute de l’authenticité d’une œuvre, il n’a qu’à en faire parvenir la photographie par internet à Memoarts, qui se mettra alors à la recherche d’un expert. Ce qui n’est pas toujours évident, vu que cette espèce ne court pas les cimaises.
En tout cas, ce service, quand il est rendu, est payant. La partie documentaire, elle, est gracieuse. Elle n’en est pas moins intéressante pour celui qui veut feuilleter les pages de l’Histoire du Maroc et explorer ses arts.
Mettre en ligne des objets d’art n’est pas une novation. En Occident, c’est une pratique assez répandue. En revanche, Memoarts se distingue en doublant le virtuel par le réel, en créant une véritable galerie où se donnent à voir des objets et des œuvres qui seront vendus à distance. «C’est une vérité qui s’est imposée à moi. Au départ, je voulais me limiter à la vente en ligne. Mais je me suis rendu compte que l’art exige un minimum de contact physique. Celui qui aime le beau ne résiste pas à la tentation de le toucher, ne serait-ce que des yeux»
Patio central de Memoarts : si Abderrahman Saaidi, comme il aime à le dire lui-même, ne possède pas un grand savoir artistique, il compense largement ses lacunes par la passion et le sens de l’esthétique.
