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Culture

Abdou Cherif, idole de l’Egypte

Avec son talent incomparable pour l’imitation de Abdelhalim Hafez et sa
gueule d’ange,
le Marocain Abdou Cherif a mis l’Egypte à ses pieds. Portrait et
parcours d’un chanteur à la voix de velours.

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Sur les colonnes du magazine égyptien Al Cinéma Walnass du 22 mars dernier, s’étalent des photos prises lors d’une veillée féerique dédiée à Abdou Cherif, à l’occasion de son retour sur la scène cairote. On y aperçoit le chanteur, entouré d’étoiles indécrochables, d’artistes lumineux et de cinéastes fameux. Mirvet Amine, Ilham Chahine, Majda Nour Eddine, Mahmoud Jouidi, Samir Faraj, Hilmi Bakr…. En somme, le dessus du panier, venu assurer au chanteur qu’il est désormais entré dans la cour des grands. Sur les clichés, Abdou Cherif a l’air léger. Il est gai, souriant, ravi du conte de fées qui lui arrive. Sans doute a-t-il, en ce moment où il nage dans le bonheur, une pensée émue envers la petite fille à laquelle il doit, malgré elle, cette félicité.

Un ami lui offre un disque pour le détourner d’un chagrin d’amour, et il découvre Abdelhalim
A l’adolescence, âge où le regard est piqué par ce trouble déconcertant qu’est la montée du désir, Abdou tombe éperdument amoureux de sa craquante voisine. Il fait son siège, l’assaille de prévenances, l’abreuve de galanteries. Elle le repousse. Ulcéré par la rebuffade, il s’abîme dans le morose chagrin. Pour l’en distraire, un ami bienveillant lui prête un disque de Abdelhalim Hafez, Daï al qanadil. Abdou est immédiatement charmé. Il se déprend de sa farouche dulcinée et s’éprend de Abdelhalim Hafez. Cette rencontre inopinée infléchira le cours de son destin. D’écouter les mélopées de l’idole égyptienne, jamais Abdou ne se rassasie. Il se les passe et les repasse avec gourmandise et en boucle, en savoure les délices, en hume les senteurs enivrantes. Puis se met à les fredonner, d’abord d’une voix mal assurée, ensuite avec justesse. Dès lors, sa vocation se dessine : il sera chanteur, comme son icône, à la manière de son icône.
Abdou Cherif entre dans la chanson comme on entre en religion. Zèle, ferveur et sens du sacrifice. Ce sont ses études littéraires, entamées dans l’enthousiasme, qui font les frais de sa brusque conversion. Ses parents, pourtant férus de chanson classique, en prennent ombrage. A juste raison. Ils envisageaient un avenir précautionneux pour leur enfant, et voilà qu’il se lance sur des sentiers aventureux. Abdou ne capitule pas. Son obstination finit par payer. Invité à chanter devant feu Hassan II, en 1991, il déploie un talent époustouflant. Son interprétation des chansons de Abdelhalim Hafez ravit. En fin connaisseur, le Roi lui prodigue ses encouragements. Abdou est sur un nuage. Le courroux de ses parents retombe comme un soufflé.
Abdou Cherif se décrit comme le résultat des rencontres fortes qui le forgent. Celle avec le chanteur Mohamed Fouiteh est à marquer d’une pierre blanche. Les deux hommes se plaisent d’emblée. Fouiteh tombe sous le charme de la voix de Abdou. Il considère que, par son ampleur, son velouté et son grain mélancolique, elle rehausserait superbement le répertoire judéo-marocain. Sans tarder, il présente son protégé à Jacques Berdugo, frère de Serge, alors ministre du Tourisme, qui lui ouvre les portes de sa discothèque, fournie en pépites et diamants noirs. Abdou découvre avec enchantement ces ténors tombés dans l’oubli que sont Salim Lahlali, Sami Al Maghribi, Lili Boniche, Abbassi… il se repaît de leurs chants évocateurs de la lointaine Andalousie, ce paradis perdu. Muni du précieux viatique, il trace sa voie. On lui concocte un spectacle, à l’occasion de la réunion du Gatt, en 1993, à Marrakech. Sa brillante prestation éblouit. Abdelkrim Raïs le complimente sur son interprétation du répertoire judéo-marocain. Les éloges pleuvent dru. Serge Berdugo utilise son influence pour convaincre les producteurs de prendre en main le jeune prodige. Mais les jours s’écoulent, puis les mois, Abdou ne voit rien venir. Il faut dire qu’à l’époque on ne prêtait ouïe qu’à la ritournelle liftée. Le beau chant laissait de marbre. Attristé, Abdou décide d’appareiller vers les rivages cairotes, là où se fait l’œuvre.

De Abdelhalim à Aznavour en passant par Macias : on pourrait l’appeler «Abdou l’éclectique»
Le Caire, cette porte battante qui happe les voix, fit un triomphe à celle du transfuge. Le Caire, cet accroche-rêve pour nos chanteurs, lui permit d’exaucer son rêve : celui de chanter Gabbar, de Abdelhalim Hafez, devant le public égyptien. De surcroît, dans une citadelle inexpugnable: le prestigieux Opéra. Ce fut le 1er mai 1999, date à jamais incrustée dans la mémoire de Abdou. Médusés étaient les spectateurs par la ressemblance de sa voix avec celle de leur idole disparue. Cela tenait du sortilège. Certains fermaient les yeux pour se bercer de l’illusion d’une miraculeuse résurrection. Le lendemain, il n’était question, dans la presse entière, que de la prestation magique fournie par le «sublime» Marocain. «Le public égyptien était tellement séduit qu’il a demandé à la télévision égyptienne de rediffuser intégralement la soirée. Ce qui fut fait», raconte Abdou Cherif non sans fierté. Après avoir conquis l’Egypte, le chanteur s’envola vers le Liban, autre galaxie mélomane. On lui déroula le tapis rouge ; il fut à la hauteur de tant d’égards.
«Beaucoup me font le reproche d’imiter Abdelhalim Hafez. Ils ont tort. D’abord, je ne chante que les titres qu’il n’a pas présentés sur scène. Ce qui représente un autre exercice. Ensuite, je ne prétends pas le réincarner vocalement, mais seulement appartenir à son école vocale. Car Abdelhalim constitue une école dont sont issus Hani Chakir ou Midhat Salah, entre autres». Trois ans après, Abdou Cherif retourne à l’Opéra. Pour y chanter… La Bohème de Charles Aznavour et J’ai quitté mon pays d’Enrico Macias, avec orchestre arabe. Le public, un instant déconcerté, applaudit.

«Le vidéo-clip, ce n’est pas ma tasse de thé… j’attends un producteur vraiment mélomane»
Décidément, ce garçon ne fait rien comme tout le monde. Il pousse même l’originalité jusqu’à refuser de voler de ses propres ailes, en chantant ses propres chansons.
«Les producteurs ne me proposent que des vidéo-clips. Ce n’est pas ma tasse de thé. Le prêt à consommer n’est pas mon fait. Je n’aime que la grande musique. Je voudrais donner un nouveau ton et une nouvelle personnalité à la chanson arabe. Je ne me presse pas. J’attends qu’un producteur vraiment mélomane se présente». Universal et Sony sont sur les rangs. Mais Abdou Cherif se hâte lentement. D’ailleurs, il est absorbé par le tournage d’une biographie de Abdelhalim Hafez, écrite par Hilmi Bakr, où il incarne son idole.