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Culture

Abdelilah Rachid : L’étoile de Sidi Moumen

Dans «Les Chevaux de Dieu», Abdelilah Rachid endosse avec maestria le qà¢mis d’un des kamikazes qui ont perpétré les attentats du 16 mai 2003 à  Casablanca. Délesté de l’encombrement de Hamid, le terroriste qu’il a incarné, il se sent aujourd’hui prêt à  habiter un nouveau personnage.

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Abdelilah rachid 2012 12 13

Mardi 22 mai 2012. Abdelilah revient tout juste de Cannes. Un sourire immense, presque immuable, lui barre le visage. Des ailes de géant l’empêchent d’atterrir. «C’était mon premier voyage à l’étranger». Sa première odyssée de l’espace Schengen. Son premier film, son premier festival. Sa première ovation. Dix minutes inoubliables, inouïes. «Ils étaient partout, et partout ils applaudissaient», exulte l’acteur de vingt-huit ans. «Les femmes pleuraient. Les mecs aussi. Un critique brésilien sanglotait comme un gosse. À la sortie, les gens se sont jetés sur nous. J’étais en transe. J’ai signé tellement d’autographes ! J’ai failli m’en déboîter le poignet».

Hanté par son personnage terroriste

C’est un cauchemar qui tourne à la féerie. Un enfant de Sidi Moumen étincelle depuis huit mois à Bruxelles, Namur, Valladolid, Doha. Un spécimen de la jeunesse à faits divers, de la frange désœuvrée, déboussolée, sacrifiée des bidonvilles, se fraie un chemin dans la masse oiseuse, repue et bling-bling du Festival de Marrakech. Qui l’eût cru ? «Ça peut sembler dingue mais j’étais persuadé qu’un réalisateur viendrait me découvrir à Sidi Moumen», jure ce féru de théâtre. «J’en fais depuis l’âge de seize ans au conservatoire de Sidi Belyout. Je veux être un grand acteur, comme Ahmed Zaki. Rester dans la postérité, pas être juste de passage», prévient Abdelilah avec, dans ses yeux tragiques, presque inquiétants, des éclairs.

À Kariane Rhamna où le comédien est né, on se soucie d’immortalité comme d’une paire de chaussettes trouées. «Naître dans une famille de neuf personnes qui tente de survivre avec 1 500 dirhams par mois, ça n’élargit pas vraiment ton horizon», raille Abdelilah Rachid. «Mais ça te fait déverser des torrents d’émotions sur scène. Ça t’aide à jouer avec tes tripes». Les amateurs de détails sordides passeront leur chemin : le jeune acteur n’est pas là pour faire pleurer dans les chaumières. «C’est dur de vivre à Sidi Moumen mais les gens s’y aiment et s’y serrent les coudes». Abdelilah doit penser à ce voisin qui l’a emmené pour la première fois, en cachette, au cinéma Mirage du quartier Mouahidine : «Je devais avoir neuf ans. Je découvrais l’incroyable acteur indien Amitabh Bachchan. J’étais ébloui». Pour le comédien, un «monstre sacré» doit jouer avec son âme, être à l’aise dans toutes sortes de rôles. Abdelilah n’oubliera pas de sitôt sa terrible histoire avec Hamid, le personnage du terroriste qu’il incarne dans Les Chevaux de Dieu. «Je fais partie des mecs plutôt bien éduqués, plutôt tranquilles du bidonville. J’ai donc dû passer un an à essayer de me mettre dans la peau de ce truand ignoble avec tout le monde mais bon pour sa famille, ce taulard qui se vautre dans l’intégrisme. À la fin du tournage, il me hantait, je n’arrivais plus à m’en débarrasser». Un peu comme Sidi Moumen, condamné pendant de longues années à endosser l’étiquette de nid de kamikazes. «Nous avons vécu le martyr après les explosions. Tous les doigts accusateurs se sont tournés vers nous. Quelle misère si un flic découvrait le nom du quartier sur la carte d’identité d’un jeune, quelle galère si un potentiel employeur lisait Sidi Moumen sur un CV». Les choses s’améliorent-elles aujourd’hui ? «Il y a eu un regain d’intérêt pour Sidi Moumen. Mais ça n’a pas duré longtemps. Il y a toujours un bidonville à côté des HLM récemment construits. J’espère que le film va faire bouger les choses». Et aider à combattre des préjugés enracinés. «J’entends dire parfois que les gens des karianates ont de l’argent qu’ils planquent. Il faut arrêter de débiter des idioties. Si j’avais de l’argent, je sortirais ma famille de là et l’emmènerais vivre dans une villa». Ou encore : «À ceux qui pensent que Sidi Moumen est un repère de terroristes, je veux montrer qu’il en sort aussi des artistes qui se font connaître partout, des gens sensibles, qui ressentent des choses, des garçons et des filles qui étudient et qui bossent dur et qui aiment leur pays».    

Délesté de l’encombrant Hamid, Abdelilah Rachid se sent aujourd’hui prêt à habiter un nouveau personnage. «Ce premier film m’a appris le métier. J’en sors avec une sorte de diplôme, de certificat d’interprétation. Je sais que le boulot ne fait que commencer». Il sait aussi que tout n’est pas rose dans le microcosme du cinéma. «J’ai vu plein de films marocains joués par des gens qui ne sont pas à la hauteur. Je sais que c’est souvent une histoire de réseaux, de piston, de «Bak sahbi» (Ton père est un ami)». Les doux souvenirs glanés dans les festivals se dissipent, la réalité revient au galop, avec son lot de déceptions, d’amertume. «La plupart des professionnels que j’ai rencontrés sont méprisants avec les jeunes. Je suis allé à deux castings où on ne m’a même pas laissé jouer. C’était fini pour aujourd’hui, me disait-on. Ou alors, la caméra est cassée, on arrête tout. Au conservatoire, ce n’est pas mieux : les profs rabaissent les élèves qui ont de l’ambition. On n’y apprend ni le jeu, ni le sentiment, ni le respect, ni l’ouverture, ni l’humilité. Je préfère la rue à ce genre de conservatoires».