Culture
Abdallah Hassak, chasseur de sons
Malgré son jeune âge, Abdallah Hassak joue dans la cour des grands. Cet artiste sonore mène en parallèle moult projets artistiques, aux dimensions profondément philosophiques. De la musique à l’archivage sonore, il cumule un bagage qui le fait voyager à travers le monde.

Abdallah Hassak n’est pas un DJ mainstream. David Guetta n’est pas son idole. Il ne vivote pas sur les créations d’autrui. Il ne fonde pas sa carrière sur un seul et unique projet. Abdellah est un puriste de l’électro, de ceux qui réinventent les styles, voire en inventent de nouveaux. Sa passion pour le folk a débuté au Maroc, avant de s’élargir aux rythmes du monde. En parallèle, il traque le son, avec une sensibilité acoustique surprenante. Qu’il enregistre des coups de klaxon ou l’infime effritement d’une vieille bâtisse, le jeune homme sait donner voix aux objets inanimés, aux lieux peuplés ou dépeuplés et à l’instant éphémère.
Au commencement, la musique
Quoi de plus normal que de gratter sa première guitare au collège, lorsqu’on est né dans un environnement sensible à la musique ? De former des groupes au lycée pour reprendre les Nirvana et les Led Zepplin ? Mais Abdellah Hassak est déjà différent de ses congénères. Un tantinet plus curieux ou moins impressionnable par quelques accords maîtrisés, il découvre, en 1998, la musique électro-ethnique de Aicha Kandisha’s Jarring Effect. Ce groupe avant-gardiste déboussole complètement le jeune homme. Aussi, lorsque ses études d’ingénieur le confinent dans sa chambre, il s’essaie à l’exercice solitaire de création sonore sur ordinateur. Quelques années plus tard, il est pro de la dub music et son morceau avec la musique zayane est sélectionné, en 2007, parmi les meilleurs morceaux de dub au monde. A l’époque, son choix entre la musique et le métier d’ingénieur n’est pas encore fait, mais Dubosmium, son nom de scène, est déjà invité en résidence ou à performer lors de festival. Offres qu’il déclinait naïvement pour rester concentré sur ses études ! Rapidement, il s’éloigne de la dub pour voir plus large. Sa fascination pour le folk marocain s’élargit, au contact d’autres artistes et d’autres cultures. Aujourd’hui, pour Abdellah Hassak, manipuler les rythmes pour les faire coexister est une expression du vivre-ensemble qui devrait régner dans le monde. On lui découvre des morceaux stambouliote, andalous ou brésilien qui en atteste. On l’invite en Egypte ou aux Pays-Bas pour représenter la scène marocaine électro… dont on entend peu parler au Maroc !
Un collecteur de bruits
Dans un autre registre, qui rejoint le premier, la création sonore occupe une grande place dans la démarche artistique d’Abdellah Hassak. Dans son travail de collecte de sons, il tend à archiver la mémoire sonore des lieux et du temps, pour en mesurer les transformations, aussi bien sociales que géoculturelles. C’est dans ce cadre qu’il s’est inspiré du bâtiment de la société «Legal Frères et Cie – Bois de Construction», ancienne usine de transformation de bois installée à Mers Sultan, dans le cadre de Masnaa – Ecole de littérature – 2015. C’est ainsi également qu’il a réalisé ce reportage sonore sur l’aquarium de Casablanca. Un projet qui n’a jamais vu le jour, en raison de la construction de la Moquée Hassan II. La création sonore autour de cet aquarium (et de l’ancienne médina) a été entièrement menée à partir de réflexions, rencontres et témoignages avec des habitants et spécialistes. A Marrakech, il a réalisé une performance sur le bruit dans le cadre du Carnival in the Casbah en 2014. Plus récemment, il a enregistré et synthétisé les transformations du paysage sonore de la ville de Tanger…
Dans ce travail de capture de l’instant sonore, le plus gratifiant pour Abdellah est de transmettre les sensations aux publics étrangers, qui ne partagent pas le même référentiel acoustique; quand, aux Etats-Unis, on l’interroge sur ce que dit le vendeur de bouteilles vides ou sur le chaos des klaxons en Allemagne.
Dans l’agenda papier d’Abdellah Hassak, quelques dates se chevauchent et les projets se multiplient, entre musiques de films, performances artistiques et quelques Dj Set pour le plaisir de faire danser les gens. Il rêve de trouver le temps et les fonds pour collecter et archiver les mémoires sonores de toutes les villes qu’ils visitent, au Maroc ou ailleurs…
