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Idées

Voir au-delà  de la laideur du réel

La modernité repose sur l’émancipation de l’individu de la tutelle du groupe et sur celle de la pensée de l’autorité du religieux, elle est, par essence, porteuse de liberté.

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La question des valeurs hante les discours des différents acteurs politiques et même économiques. Sur la place publique, la tonalité est désabusée. «Il n’y a plus de valeurs, toutes les valeurs sont mortes», entend-on dire. Dans la réalité, en effet, la logique des rapports de force et les comportements de prédateur dominent. La communication tous azimuts autour du concept n’empêche pas celui-ci de sonner désespérément creux.
Le présent état social est celui d’un entre-deux où un ordre vacille pendant qu’un autre tente de s’imposer. Les deux systèmes de valeurs, le traditionnel et le moderne, coexistent mais tous deux sont en décalage avec un réel qui ne cesse de muer. Les attitudes cyniques y trouvent leur compte et on constate la généralisation d’un comportement : celui qui consiste à puiser dans le registre des droits mais à bouder ce qui relève des devoirs.
Ainsi, par exemple, du paysan qui émigre de son village vers un centre urbain. Tant qu’il vivait à la campagne, il était tenu de se soumettre aux règles de la jemaâ. Anonyme dans la grande ville, il s’empresse de se délester de ses obligations à l’égard de la collectivité. Cette liberté nouvelle dont il bénéficie, il en use de manière anarchique. Parce qu’il n’en possède pas les règles et ne lui rattache pas de valeurs.
La modernité repose sur l’émancipation de l’individu de la tutelle du groupe et sur celle de la pensée de l’autorité du religieux, elle est, par essence, porteuse de liberté. Mais cette liberté suppose une responsabilité nouvelle et des devoirs à remplir. Elle ne signifie nullement le droit de faire ce que l’on veut, comme on le veut.
Malheureusement, de cette modernité qui nous est venue d’ailleurs, de la lecture faite de la notion de liberté, on ne veut retenir que la possibilité de donner libre cours à son égoïsme et de se préoccuper de ses seuls intérêts personnels. Du coup, on aboutit à un individualisme débridé qui oublie les droits de la collectivité. Un sentiment se développe : pour survivre, il faut devenir loup parmi les loups. Les plus honnêtes finissent par se laisser gagner par le découragement. Et nombreux sont ceux qui démissionnent. Dès lors, les actions, quand elles ne sont pas dans la logique de la prédation, s’inscrivent sur celle du court terme. On s’étonne ensuite de la stagnation généralisée, quand ce n’est pas le recul dont pâtit l’ensemble de la société.
Faut-il pour autant baisser les bras ? Non, car tout reste une question de regard porté sur la vie. Un regard pessimiste va privilégier la face sombre de la médaille. Un regard ouvert percevra, lui, le frémissement du renouveau qui, en dépit de tout, travaille notre société. Si certaines choses disparaissent, d’autres sont en train de naître, ce qui est le propre même de la vie. Prenons le processus végétal. Des plantes meurent mais, avant de mourir, elles laissent tomber des graines qui ensemencent la terre. Tant que les graines n’ont pas germé, la terre souffre de nudité. Le vide prédomine. Un peu à l’image de ce que l’on peut ressentir du fait de ces mutations qui bouleversent notre univers. Les repères s’étant brouillés, la sensation éprouvée est aussi celle du vide. Un vide que prennent d’assaut les mauvaises herbes. Ce vide, pourtant, est riche d’autres semences. A nous de faire en sorte qu’elles éclosent en plantes vigoureuses. Mais pour cela, ces graines demandent à être arrosées. Elles demandent à ce qu’on croit en elles. D’où l’importance de la notion de valeurs. Nous avons impérativement besoin de valeurs pour aller de l’avant. Ces valeurs seront ce que nous déciderons qu’elles soient. Elles fonctionneront si nous y croyons. Car tout, en fait, revient à cela. A cette capacité de croire, de rêver et de regarder au-delà d’une certaine laideur du réel. Alors, communiquer autour de la notion de valeurs, c’est bien. Les doter d’uneexistence, c’est mieux