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Idées

Valeurs et institutions

Depuis le déclenchement de la crise gouvernementale, les signes négatifs se sont accumulés sur la scène politique nationale.

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Mis à jour le

larabi 2013 10 15

Depuis le déclenchement de la crise gouvernementale, les signes négatifs se sont accumulés sur la scène politique nationale. De sorte que, vues de l’intérieur comme de l’extérieur, les réformes institutionnelles du Maroc produisent maintenant une image ambiguë. Ce n’est pas que la mise en cause de la représentation politique soit propre au Maroc. C’est là un trait que partagent beaucoup de pays et même des démocraties avancées. Mais que cette crise intervienne au lendemain de l’adoption d’une nouvelle Constitution confère au problème de l’institution étatique et à ses représentants un caractère éminemment significatif. Les espoirs portés par la réforme constitutionnelle ont été reconnus et célébrés ici et ailleurs. Aujourd’hui, les limites de son application sont de plus en plus soulignées. C’est principalement dans deux grands domaines (des valeurs et des institutions politiques) que les pathologies retiennent le plus l’attention. On pensait qu’avec la nouvelle Constitution un rééquilibrage des pouvoirs allait intervenir dans le schéma institutionnel du pays, qu’un nouveau leadership politique de l’Exécutif, à la fois efficace et crédible, allait émerger. Qu’il peut aider à initier et accomplir les changements économiques et sociaux requis.

De ce point de vue, la crise gouvernementale a révélé que les conditions de l’exercice du leadership dans une perspective de changement politique dépendent de la capacité des responsables politiques, vitale pour eux et l’avenir du pays, à prendre toute la mesure de deux vérités simples mais fondamentales pour la légitimité démocratique. Premièrement, plus on revendique de pouvoirs, plus on est tenu de les assumer quand les institutions le permettent. Deuxièmement, prendre la mesure des responsabilités associées aux pouvoirs revient à ne pas se penser ni agir comme étant un centre de décision hégémonique. Au contraire, la personnalisation de la vie politique doit être mise à profit pour injecter et institutionnaliser dans les mécanismes et rouages administratifs et politiques du pays l’énergie, la faculté d’inspiration et la persévérance dont font preuve les leaders. C’est à ces conditions que les responsables politiques nationaux seront en mesure d’instaurer une vraie relation de confiance avec les citoyens et, ainsi, devenir des vecteurs du changement.

Plus spécifiquement, la crise gouvernementale a révélé que la coalition en charge des affaires publiques n’était point une alliance rassemblant des camps politiques convergents sur les questions des valeurs, de l’idéologie et des choix programmatiques. Elle est plutôt hétéroclite, otage d’un clientélisme auto-entretenu, ne répondant pas suffisamment aux exigences d’expertise et d’éthique publique. Il était donc naturel qu’elle soit exposée aux interférences extérieures, aux pressions d’autres centres de décision. Il est, par conséquent, devenu difficile de faire travailler ensemble des personnes de bords différents, dans une même coalition, et d’aller au-delà d’une pratique politique prisonnière des clans.
La logique d’affrontement devint forte et a fait oublier aux protagonistes politiques qu’il fallait garder une dimension morale à la politique. Les responsables politiques donnent l’impression d’être plus préoccupés par les intérêts de leurs écuries que par ceux de la nation. Se développe ainsi le sentiment d’une déliquescence du système.

La classe politique marocaine est maintenant largement perçue comme n’étant pas au service du pays. C’est plutôt le pays qui semble être à son service. La mise hors jeu ou la perte de légitimité de l’establishment, avec l’incapacité à diriger que cela entraîne, devient une conséquence logique. Dans cet environnement, les Marocains sont fatigués, en fait plus que fatigués, des querelles de partis, d’appareils et de personnes qui ponctuent la vie politique. Cela les désespère plus que cela ne les amuse. Ils trouvent que notre pays regorge d’opportunistes sans morale, qui croient que la politique, c’est la capacité d’adaptation à l’instant. La capacité d’être majoritaire dans le moment.  
La crise gouvernementale a aussi consolidé cette croyance dominante dans l’esprit des Marocains : les réformes sont souvent abandonnées aussitôt que décidées. Tout nouvel événement donnant lieu à l’annonce d’un nouveau texte alors que le précédent n’est pas encore appliqué, on le voit par exemple, en matière de justice, de droits de l’homme, de liberté de la presse…
Autrement dit, non pas une politique du durable, mais une politique de l’éphémère, entièrement concentrée non pas sur la conscience des citoyens, mais sur la communication.  D’aucuns diront que la centralité de l’État a un avantage quand le gouvernement ne s’acquitte pas de façon satisfaisante des responsabilités assignées par les valeurs et attentes auxquelles s’identifient les citoyens. Mais cette centralité devient un handicap si l’institution fondamentale en devient la cible. Dès lors, comment trouver les ressources, morales et matérielles, pour faire face et remédier aux problèmes du moment? Compte tenu de l’ampleur des difficultés, les résoudre exige de rénover dans la pratique, pour leur redonner une crédibilité, les termes du contrat politique au Maroc. 

Ma conviction est que la nouvelle Constitution a été écrite pour impulser un changement dans la gouvernance du pays. C’est ce changement qui aujourd’hui manque le plus. Comme si les articles novateurs de la Constitution étaient interprétés ou utilisés comme rideau de fumée pour exprimer le contraire de ce qu’ils annonçaient. Aujourd’hui, les attaques sont si rudes contre les deux enjeux cruciaux, que sont les valeurs qui construisent un projet de société et les institutions qui font la démocratie, qu’elles appellent une mobilisation des démocrates et des citoyens.  Une mobilisation qui serait un prélude à la constitution d’une alternative politique qui se forme et s’affirme  pour que le Maroc retrouve ses valeurs, une méthode calme et de fond pour la réforme, des institutions qui le rassurent et lui permettent de choisir son chemin.