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Idées

Sur l’autoroute des vacances

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Une petite citation sur les vacances s’impose après un mois sans une ligne. «Pas un jour sans une ligne», disait l’autre accro à l’écriture et non pas à ce que pourraient croire certains renifleurs. Le meilleur moyen de passer plusieurs jours sans foutre une rame est de méditer le sens doux et profond de cette pensée d’un humoriste et écrivain anglais, Robert Orben : «Etre en vacances c’est n’avoir rien à faire et avoir toute la journée pour le faire.»
Au Maroc, les vacances sont le meilleur sujet de conversation après la pluie. Même ceux qui n’en prennent jamais en parlent mais pour s’en plaindre et pester contre tous ces fainéants qui se vautrent, un mois durant, dans l’inactivité et la torpeur. Mais les vacanciers, à leur tour, se plaignent aussi de tous ceux qui ne font pas bien leur boulot afin de les satisfaire. A raison d’ailleurs, si l’on passe par ces mal nommées aires de repos qui ponctuent certains tronçons de nos maigres et payantes autoroutes. Celle qui mène vers Tanger offre au moins deux aires qui marqueront la mémoire de nombreux usagers de ce tronçon au même titre que le prix et la qualité culturels d’une paella ingurgitée à Asilah. (C’est curieux, mais on trouve de moins en moins de gens pour dire du mal d’Asilah. Il fut un temps pourtant…). C’était là une petite pause publicitaire pour se rafraîchir la mémoire.
Eh oui, les vacances fabriquent des souvenirs que l’on fixe dans l’album du temps qui passe comme autant de preuves d’un bonheur en partance. Poétique, non ? Seulement voilà, le long de l’autoroute du Nord il y a des aires de repos qui ramènent le voyageur insouciant aux dures manifestations du réel et à notre rapport à cette société de loisirs qui compte accueillir dix millions de touristes. On ne va pas se gausser encore une fois de la propension de certains responsables à lancer des statistiques comme on lance des pierres pour faire des ricochets. On n’attrape pas des mouches avec du vinaigre, pas plus que l’on ne draine ni fidélise des touristes, étrangers ou autochtones, avec des toilettes bouchées, des odeurs nauséabondes, des détritus autours d’un café qui sert des limonades tièdes, pratique des prix prohibitifs et emploie un personnel qui tire la tronche. Sachant que l’on paie déjà l’autoroute au prix fort, on s’attend à ce que l’aire dite de repos ressemble à quelque chose de convenable et non pas à un Tchernobyl de l’hygiène.
Reprenons la route pour parler de celle que l’on appelle «Aârous achamal» (la mariée du Nord.) On se demande d’ailleurs pourquoi et qui est l’heureux élu dans cette affaire ? Mais avec toutes ces appellations incontrôlées dont on affuble nos cités, il ne faut s’étonner de rien. Si vous débarquez en voiture de ces ferries qui font la navette entre les deux rives de la Méditerranée et si d’aventure vous comptez vous rendre à Marrakech, munissez-vous d’une boussole. Sans rire, il n’y a pas une seule indication en vue sauf si vous vous voulez aller à Marjane.
En effet, c’est une fois arrivé près de cette grande surface qu’un panneau signale la direction de Rabat à gauche et celle de Marjane à droite qui est, comme tout le monde le sait, une cité historique impériale fondée vers la fin des années 80 du siècle dernier. Les historiens sont, me signale-t-on, divisés sur l’origine du nom et évoquent, prospectus et sacs en plastique à l’appui, d’autres cités homonymes dans d’autres régions du pays. Mais on s’égare, on s’égare. En tout cas, on a beau s’égarer, on ne sera pas plus paumé que ce Hollandais monolingue désireux de sortir de Tanger pour aller visiter Marrakech ; mais évitant la direction de Rabat, il s’en va passer ses vacances à Marjane dans un vertigineux éblouissement des sens entre les linéaires de la charcuterie halal, ceux des épices au mille arômes et ces amas d’olives aux goûts de l’éternité.
C’est fou, mais chaque fois qu’un Marocain parle de vacances, il déborde sur le tourisme en général. Et lorsqu’on évoque ce dernier, on débouche sur des panneaux de signalisation, la voirie, la malbouffe, les serveurs qui font la gueule, ceux qui font la manche, ceux qui font les poches et ceux qui font pitié parce que mal fagotés, mal réveillés, mal rasés et en un mot mal payés. Il y a là un lien causal, nous dira l’expert qui n’en finissait pas de nous annoncer le chiffre rond de dix millions de toutous. Il paraît que celui qui passe son temps à annoncer la pluie finit par avoir raison. Oui mais ce mec là doit habiter à Cherbourg ou à Liverpool. Parce que le gars qui se hasarderait à en faire autant sous nos cieux n’est pas prêt de se mouiller le tarbouche en chantant : «I’m singing in the rain.»