Idées
Quels nouveaux rôles pour les élus locaux au Maroc
Le rôle des collectivités locales doit dépasser de loin la simple fonction administrative, et se décliner en intervention pour la cohésion économique et sociale du territoire et en participation à la réalisation d’infrastructures, avec pour but la création de richesse au profit des administrés.

La consolidation et la pérennisation du processus démocratique en cours dans notre pays sont inéluctablement tributaires, entre autres, d’une politique communale qui permet au citoyen de constater, sur le terrain, le résultat du travail des élus politiques et, par conséquent, de croire en cette dynamique démocratique et s’inscrire dans cette démarche de façon volontaire.
Or, aujourd’hui, nous sommes, hélas, bien loin de cette vision, dans la mesure où beaucoup d’élus de tous les partis et à tous les niveaux, sauf dans des cas relativement limités, montrent une bien piètre image d’efficacité et d’intégrité, avec des «affaires» en tout genre, sans parler du manque quasi total de conviction politique basée sur un programme ou, a fortiori, d’une ligne de conduite imprégnée d’engagements sincères pour l’amélioration de la situation matérielle et morale de leurs électeurs.
En effet, le processus de démocratisation des instances communales ayant connu, dès le départ, certains écarts mus par des considérations obscures et inavouées, il s’en est suivi la formation de structures communales hétérogènes et incapables, de par la valeur absolue de leurs composantes, de se hisser au niveau de la gestion citoyenne des affaires de la collectivité.
Cependant, force est de remarquer que, dans quelques villes du Royaume, certains élus se sont illustrés par une approche novatrice qui a démontré son efficacité mais reste souvent perfectible.
Certains pays démocratiques plus avancés que nous dans ce domaine ont réussi à mettre en place des institutions mettant en exergue l’importance des autorités locales qui sont devenues, grâce à l’exercice démocratique, des acteurs incontournables dans leur environnement socio-économique non seulement au niveau de la commune mais au niveau régional et territorial.
Cet article vise à tenter de mettre en lumière le périmètre de responsabilité de l’élu communal et de proposer de nouvelles prérogatives à cet acteur majeur dans l’instauration des principes fondamentaux de la démocratie locale tout en proposant des voies d’amélioration susceptibles de fluidifier les processus et les rendre plus «lisibles» tant pour l’élu que pour l’électeur.
Il est par ailleurs très important d’être conscient préalablement des difficultés que rencontrent les élus dans l’exercice de leurs fonctions, tout en s’interrogeant sur les contraintes institutionnelles, organisationnelles et autres pesanteurs historiques que vit l’élu lors de son mandat, sur la nature et la complexité des relations qu’il se doit d’entretenir avec l’autorité centrale (walis, ministère de l’intérieur, autres ministères…) sur l’effort à déployer pour faire avancer ses projets dans le dédale des procédures administratives, vu leur complexité et le nombre d’intervenants plus ou moins compétents…
Collectivités locales : enjeux et prérogatives, la Commune face à de nouveaux défis
L’enjeux des collectivités locales aujourd’hui est de consolider les bases et les fondements de la gouvernance locale, où la démocratie marocaine doit être transformée en projets vu les grands retards qui sont à rattraper dans un monde où les tendances régionales et territoriales cèdent la place de plus en plus à des tendances de globalisation et de mondialisation.
Aux Etats-Unis, nous parlons de «Glocalisation», contraction de globalisation et de localisation qui a pour sens d’ouvrir les communes sur le monde extérieur en les dotant de moyens humains et financiers, de les rendre indépendantes dans le cadre de projets intégrés produisant richesse et compétitivité territoriale.
Au Maroc, l’une des principales références en matière de gestion des collectivités locales reste la charte communale de 1976 dont la dernière révision remonte à 2003 et dont les aménagements sont d’ordre technique et structurel, définissant les statuts des élus et leurs mandats…
Alors que dans certains pays le rôle des élus locaux est bien circonscrit, au Maroc, le rôle de ces élus reste entaché d’imprécisions au niveau des prérogatives. Il existe une interdépendance dans les fonctions et un enchevêtrement des compétences tels que le nombre d’intervenants devient incalculable, d’où la panoplie des lourdeurs et des lenteurs administratives où toute gestion de projet doit faire appel à une ou plusieurs mesures dérogatoires.
Il est alors remarqué qu’en raison d’une incompréhension totale des mécanismes de la gestion locale, le conseiller communal s’est tout simplement érigé en exécutant des décisions du conseil à la place du pouvoir exécutif au lieu de légiférer en assemblée municipale pour le bien de toute la communauté.
La conséquence est qu’aujourd’hui au Maroc nous vivons plusieurs crises dans la gestion des villes et des communes, nous pouvons en citer, quelques-unes, notamment :
– Une crise de confiance des élites avec une appréhension négative de la gestion de la chose publique.
– Une crise d’identité de la ville. Cette dernière n’est pas perçue comme un enjeu propre à faire valoir dans le droit marocain.
– Une crise de leadership : aucune majorité ne se dégage des élections pour conférer à l’élu une parfaite adhésion des citoyens.
– Une crise de globalité, dans la mesure où la ville est absente des plans stratégiques gouvernementaux.
Or, les villes d’aujourd’hui devraient être de véritables acteurs et locomotives du développement économique, elles doivent être intégrées dans toute planification stratégique. Le territoire étant une valeur où sont exercés les actes de citoyenneté, les pratiques de solidarité et de cohésion sociale et où l’élu devrait avoir aussi un rôle d’orientation et de planification que de régulation et de correction.
De l’élu notable et/ou «ould derb» à l’élu visionnaire et stratège
L’expérience européenne a démontré que l’exercice démocratique à travers les collectivités est une pratique bien plus ancrée que chez nous. Les décisions sont prises au niveau les plus proches des citoyens où ces derniers sont associés tout au long du processus décisionnel. Le rôle des collectivités y a dépassé de loin le simple rôle administratif, et se décline souvent en une intervention pour la cohésion économique et sociale, de participation à la réalisation d’infrastructures, à la création de richesses, de valeurs et d’emplois.
L’espace communal local est un terrain pour l’innovation et l’attractivité économique
A travers les pouvoirs qui leurs sont conférés, les élus locaux devraient être en mesure d’innover en matière de fiscalité locale pour drainer plus d’entreprises et promouvoir la création et le développement de zones industrielles. Ils leur incombent également d’encourager les politiques de logements sociaux par l’amélioration des procédures inhérentes à la gestion urbaine et par la réduction des impôts et charges locaux dans le but de l’encouragement de l’activité créatrice de l’emploi (restructuration de friches industrielles, facilitation pour implantation de centres commerciaux…).
Historiquement, les conseils municipaux ne pouvaient s’immiscer dans la vie économique de leurs communes. Leurs tâches devaient se limiter à certaines missions d’ordres administratifs et sociaux. Leurs revendications qui se cristallisaient, alors, autour des problèmes d’aménagement et d’urbanisme, se sont progressivement traduites par une volonté d’acquérir plus de moyens, surtout financiers, en vue d’une amélioration des conditions d’attractivité pour promouvoir leurs villes au lieu et place de se cantonner aux services urbains traditionnels tels que l’état civil, les voiries, les réseaux de distribution des eaux et les ordures ménagères.
Le développement et la transformation profonde de l’économie nationale, en générant de nouveaux besoins, devraient pousser les municipalités vers une prise en charge partielle des aménagements nécessaires en matière d’équipement, d’infrastructure, de logement social et de création de plusieurs zones d’activité.
La question de l’intervention économique des collectivités doit être au centre des préoccupations de leurs élus locaux
En France, dans les années 80 et bien avant nous, certaines municipalités ont développé, corrélativement à une politique économique nationale, une pratique économique locale. Toutefois, cette dimension économique restait dans l’esprit des élus locaux, associée à un rôle de gestion de l’environnement des entreprises par la mise en place des conditions de mobilisation et de reproduction de la force de travail, bien qu’au fur et à mesure l’action des collectivités locales interfère avec celle des entrepreneurs privés, dans la mesure où elles sont aussi des acteurs de la vie économique locale.
Avec les problèmes de la croissance économique qui caractérisent notre période, un bouleversement total des fonctions des élus locaux devrait se produire. Les fermetures et les difficultés des entreprises se succèdent, les licenciements et les pertes d’emploi se multiplient. Cette situation va interpeller les élus pour intervenir davantage dans le domaine économique. La sauvegarde des emplois devrait devenir leur principal souci.
En conséquence, ceci pousse à un changement dans l’évolution de la pratique des interventions des collectivités locales, les élus locaux ne peuvent plus rester indifférents aux implications d’une fermeture ou du départ d’une entreprise, en raison du coût social du chômage et du coût économique global qui pèse inévitablement sur leurs choix de gestion.
De plus, ils ne peuvent bien évidemment pas négliger les répercussions politiques que de tels problèmes pourraient entraîner. Les élus doivent donc s’intéresser aux difficultés économiques d’autant plus que celles-ci représentent un enjeu politique.
Même si la conduite de la politique économique nationale ressort de la responsabilité de l’Etat, ou de groupes industriels, l’élu local est progressivement amené à jouer, lui aussi, le rôle d’agent économique.
Je pense, en effet, que l’espace local ne constitue pas, aussi bien dans les politiques gouvernementales que dans celles des grandes entreprises, une dimension importante par rapport au développement économique. Il nous semble, par contre, que l’espace local, support d’un système socio-économique local, est inclus dans un ensemble régional lui-même inclus dans la formation économique et sociale nationale. L’espace local appartient simultanément à tous les systèmes de niveau supérieur contrairement à une définition plutôt réductrice mais plus pratiquée chez nous et qui réduit l’espace local à un simple lieu d’application d’une politique décidée à un niveau national. Cette situation est à l’origine d’incohérences entre ce qui se décide au niveau central et son implication à l’échelle locale, sans compter les innombrables difficultés induites par une tutelle parfois source de blocage.
Création de valeur, de richesse et d’emploi, tels devraient être les objectifs ultimes de toute collectivité locale
Aujourd’hui, plusieurs défis majeurs ont des conséquences fondamentales sur le rôle et la mission des élus locaux. Dans le mode d’aménagement, d’une part, et dans l’élaboration des politiques de développement des territoires, d’autre part. Ce rôle est à la fois essentiel et complexe où il incombe aux élus locaux parmi l’ensemble de leur prérogatives de :
– Reconnaître la nécessité de la fonction «développement» comme une des missions de l’instance politique municipale.
– Impulser et faire exister dans la longueur le processus d’élaboration des projets.
– Mener la négociation. Cela suppose une capacité de négociation.
– Penser un projet pour le territoire : les exercices de vision et de planification du développement.
– Mener des actions économiques à même de renforcer la collectivité et lui assurant des sources de financement pérennes.
La mise en œuvre de ses axes de développement dans le programme des élus est une nécessité qui permettrait à ces derniers de faire face au retournement de conjoncture économique inattendue. L’espace communal devrait être un rempart contre les soubresauts et les décisions imposés par un contexte économique international dont la maîtrise et la compréhension sont de plus en plus difficiles.
