Idées
Quand les élections se profilent
Voir refaits des trottoirs où, à chaque pas, on manquait de se tordre la cheville et rouler sur des chaussées dont les ornières ont été comblées, cela peut effectivement mettre dans de bonnes dispositions d’esprit à l’égard des élus de la ville. Sauf quand ces réfactions interviennent de façon quasi-systématique à la veille de rendez-vous électoraux

Ce qui est génial dans notre pays, c’est qu’il n’est nullement besoin de suivre l’actualité politique pour être au fait de l’agenda électoral. Des travaux commencent dans votre quartier ? Demandez-vous si des élections sont en vue. Vous avez toutes les chances que la réponse soit positive. Dès qu’un rendez-vous électoral se profile, comme par enchantement, les chaussées et les trottoirs font l’objet d’un relifting. Ça ne rate jamais ! Cette année encore, à Casablanca où le programme d’urgence de la ville a été lancé, les engins de goudronnage sont entrés en action sur l’ensemble de la métropole au cours des dernières semaines. Des élections avez-vous dit ? Tiens, par un curieux hasard, il en est, effectivement, qui se profilent à l’horizon ; les communales et les régionales initialement prévues pour juin. A ce détail près, qu’entre-temps, le chef du gouvernement a jugé bon de les décaler à septembre prochain. Soit un rab de trois mois.
Voir refaits des trottoirs où, à chaque pas, on manquait de se tordre la cheville et rouler sur des chaussées dont les ornières ont été comblées, cela peut effectivement mettre dans de bonnes dispositions d’esprit à l’égard des élus de la ville. Sauf quand ces réfections interviennent de façon quasi-systématique à la veille de rendez-vous électoraux. A force de voir se répéter ce type de manège, le citoyen le plus candide finit par faire le lien. Et de se demander si on le prend pour un imbécile. Il peine à croire qu’on puisse penser l’appâter avec des leurres aussi grossiers. C’est du moins la réflexion que le quidam que je suis se fait à chaque fois. Surtout quand, aux premières pluies venues, les nids de poules refont leur apparition comme si de rien n’était.
Les très fortes intempéries de novembre dernier, avec les dégâts majeurs qu’elles ont provoqués dans tout le Sud du pays, ont jeté un éclairage cru sur la qualité des infrastructures de base du pays. Pour reprendre l’expression utilisée en pareille circonstance dans notre darija nationale, «araou al lass». On a vu des ponts fraîchement construits s’effondrer quand d’autres, centenaires, résister, des chaussées emportées comme si elles étaient en carton-pâte, des infrastructures imposantes s’écrouler aux premiers grondements de l’eau… Certes les crues de cet automne avaient un caractère exceptionnel. Il n’en demeure pas moins qu’elles ne sont pas seules responsables de l’étendue des dégâts causés. La main de l’homme, et son irresponsabilité, y étaient aussi pour beaucoup avec un travail qui n’est pas fait dans les règles de l’art, juste en surface, pour l’apparence. Des élections ? On refait les trottoirs. Un passage du Roi ? On nettoie et on plante des fleurs le long du trajet emprunté. Pas seulement des fleurs, même des arbres parfois ! Sur ce plan, Fès, le mois dernier, a décroché le pompon ! Le Souverain y étant de passage, des arbres ont poussé comme par miracle sur le boulevard que devait emprunter le cortège royal. Et la nuit suivante, par la même baguette magique, les arbres avaient disparu. Enlevés par le génie qui les avait fait pousser ! Ensuite, on se demande pourquoi les gens ne croient plus dans leurs hommes politiques. Qu’ils ne leur accordent plus aucun crédit. Ce n’est pas que la politique ne les intéresse pas. Ils en ont juste assez qu’on les prenne pour des imbéciles à qui on peut faire avaler n’importe quoi. Juste assez qu’on les méprise.
A l’instar de plusieurs autres grands axes de Casablanca, le boulevard Franklin Roosevelt (Anfa) est en chantier. Mais bizarrement, alors que partout ailleurs on cherche à fluidifier la circulation, là, on a décidé qu’il n’était pas juste que les automobilistes empruntant cette artère soient exempts d’embouteillages. On est démocrate ou on ne l’est pas, n’est-ce pas ! Donc, sur Franklin Roosevelt désormais, on bouchonne aussi le temps qu’il faut pour être au même diapason que les autres. Pour ce faire, on a placé des feux, des carrefours, défini des espaces de stationnement (prochainement payants), élargi des trottoirs (avant de les casser et de les rendre à leur taille normale), bref, fait tout ce qu’il fallait pour y ralentir le trafic et y avoir de très conviviaux embouteillages où on est bien compressé les uns contre les autres. Réaménagement de la ville avez-vous dit ? Gratitude et chapeau bas !
