Idées
Pour un moment de courage politique
Le camouflet électoral subi par l’USFP n’est que l’aboutissement d’une
longue série d’erreurs politiques dont le parti s’est rendu responsable.
Il est temps que Abderrahmane Youssoufi appelle à un congrès extraordinaire
de l’USFP avant de se retirer dans l’honneur.

Le camouflet retentissant que vient d’essuyer le parti de l’USFP est un moment politique riche d’enseignements. Ainsi, après ses performances électorales communales en demi-teinte, le voici qui accumule les revers à l’occasion des élections des présidents des mairies et des assemblées communales…
L’USFP n’est pas le seul, au demeurant, à avoir reçu ce camouflet. La grande famille ittihadie l’a également ressenti, ainsi que tous les militants qui s’identifient à la sensibilité politique de gauche, et plus largement encore tous les militants pour la démocratie, ceux d’hier, comme ceux d’aujourd’hui. Ceux-là mêmes qui se sont toujours battus pour apporter des réponses aux problèmes et aux attentes du peuple marocain.
La fuite en avant ne date pas d’aujourd’hui
Je ne peux en aucun cas me réjouir de ce qui arrive à l’USFP. Ayant été moi-même ittihadi au tout début de mon engagement politique, je reste conscient que l’USFP est, de toutes les formations politiques, sans conteste le parti qui a payé le prix le plus fort pour la cause de la démocratie. Seulement, le courage de regarder la vérité en face vaut pour tous les partis et tous les systèmes doctrinaires. C’est ce que je me propose d’étayer, sachant pertinemment que ce parti – l’USFP – demeurera encore un acteur incontournable dans tout projet de société se réclamant des valeurs démocratiques et à même de répondre aux attentes du peuple marocain.
Il est clair d’emblée que le retentissant camouflet en question n’est que l’aboutissement d’une longue série d’erreurs politiques dont le parti s’est rendu responsable. Ainsi le parti a-t-il sciemment fermé les yeux sur les graves dysfonctionnements qui ont entaché la gestion des communes se trouvant sous son contrôle et s’est abstenu de toute sanction à l’égard de ses élus véreux, ceux-là mêmes qui – par leurs agissements frauduleux – ont porté préjudice à sa réputation, à son nom et à son héritage.
Le parti n’a pas daigné prendre en considération la colère populaire justifiée à l’égard de ces élus, tournés en dérision avec une cinglante amertume par la rumeur publique.
Le parti a également permis à une foule d’opportunistes d’envahir ses rangs et s’est abstenu de rajeunir ses structures, entravant par là même toute possibilité sérieuse d’une gestion démocratique de sa vie interne.
Le parti a par ailleurs traité avec dédain tout projet d’unification des forces de gauche et des forces démocratiques en ignorant la nécessité de la création d’un grand parti de gauche capable de regrouper toutes les sensibilités de cette grande famille et d’assurer la coexistence des courants politiques en son sein, sachant que seul un tel parti constituerait l’appui décisif dans les grands tournants politiques. Le parti a été sérieusement affaibli par les pseudo-tactiques politiques suivies par certains de ses responsables et tendant à «amadouer» les caciques du mouvement dit «islamiste», minant par là même les tentatives de rupture idéologique louables de leurs camarades.
Le parti s’est également trompé en sous-estimant la valeur symbolique de l’émergence d’une génération de militants se réclamant de la culture islamique, tranchant avec la mièvre prétention de détenir le monopole de l’Islam, convaincus de la cause des droits de l’homme, imbus des valeurs démocratiques et disposés à militer au sein d’un large front démocratique.
Le parti a en outre largement contribué à l’adoption d’un mode de scrutin qui a aggravé la balkanisation de la carte politique.
Le parti s’est surtout lourdement trompé en acceptant, sans contrepartie réelle, un «consensus» ambigu avec feu Hassan II, consensus qui a lourdement grevé les chances d’une réelle transition démocratique, et envers lequel feu Abderrahim Bouabid aurait eu la réserve salutaire du grand stratège politique qu’il était.
Le parti s’est également trompé en évitant d’engager le Grand débat national sur les années de plomb, même et surtout lorsque les chances de ce débat se sont trouvées renforcées après l’accession de Mohammed VI au pouvoir.
En plus, le parti a négligé la question de la révision constitutionnelle qui pouvait conférer au gouvernement un pouvoir constitutionnel réel.
Il s’est également trompé, suite aux élections du 27 septembre 2002, quand il a promptement abandonné sa requête de voir respecter «la logique démocratique» dans la nomination du Premier ministre, sachant que la paternité de cette vision politique lucide lui revient…
Nous voilà donc aujourd’hui, ensemble, à récolter les fruits amers de ces erreurs politiques qui, de surcroît, menacent le projet de transition démocratique à la base, parce que l’USFP nous a ainsi privés de la force politique incontournable à même de garantir les alliances sûres et nécessaires capables de faire aboutir une telle transition, main dans la main avec le Roi Mohammed VI.
Nous voilà donc à supporter ce qu’il faut bien nommer une grande défaite politique, piteusement agrémentée par les situations tragi-comiques dans lesquelles le parti s’est trouvé empêtré lors des élections des présidents des assemblées communales et des mairies…
L’urgence d’un congrès extraordinaire du parti
Soyons clairs ! Je ne prétends nullement exempter les autres composantes de gauche de leurs responsabilités respectives dans cette situation, mais mon propos aujourd’hui est de m’adresser à la composante qui a la capacité de peser sur le cours des choses plus que les autres…
Car il est temps de faire les choix courageux qui s’imposent par leur évidence même, choix que les grands dirigeants de l’USFP – immortalisés dans la mémoire du peuple – ont su prendre par le passé.
Comme je l’ai dit plus haut, je ne peux me réjouir de ce qui arrive à l’USFP. Ce parti a eu sur ma génération un impact décisif, et je répète que son rôle – valeur politique d’aujourd’hui – reste entier dans le projet de transition démocratique. Projet auquel doivent prendre part, sans exclusive, toutes les composantes porteuses des valeurs de démocratie, en parfaite entente avec Mohammed VI. Ce projet reste d’ailleurs la seule réponse à la situation précaire du Maroc et aux attentes des Marocains.
Il est évident donc qu’une initiative politique de grande envergure s’impose aujourd’hui. A mon sens, l’USFP est appelé à provoquer un congrès extraordinaire du parti. Un congrès de réunification de toute la famille ittihadie. Un congrès qui ferait le bilan et procéderait à l’évaluation de ces erreurs politiques. Un congrès qui ouvrirait le chemin au généreux dessein qu’est l’union de la gauche et, à un autre niveau, de tous les démocrates, et inviterait ses diverses composantes à une échéance fédératrice…
Et puis, et en toute franchise, il est temps pour Abderrahmane Youssoufi de se retirer. Pour la simple raison qu’il assume une grande part de responsabilité dans ce qui arrive, et que nous payons tous aujourd’hui. Il doit partir, auréolé de la grandeur des sages, avant que l’embrasure ne se rétrécisse. Par cette retraite, il s’adressera à l’Histoire et partira aussi grand qu’il le pourra… L’Histoire, comme chacun sait, offre rarement plus d’une chance… Qu’il convoque ce congrès extraordinaire, et qu’il se retire parmi les grands.
Sans cela, le passé continuera à peser de tout son poids sur notre présent et sur notre avenir, et l’USFP sera en grande partie responsable devant l’Histoire, de l’évolution politique incertaine qui menace encore le Maroc
N.B. : les intertitres sont de la rédaction.
