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Idées

Nous sommes tous pris en otage

Ce ne sont pas seulement ces deux journalistes français, grâce au travail desquels notre droit à l’information s’exerce, qui ont été pris en otage mais chacun d’entre nous. Tous, tant que nous sommes, devenons progressivement les otages de cette idéologie de la mort.

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L’été s’achève. Les artères des grandes villes retrouvent leur cacophonie habituelle. Dans les foyers, les préparatifs de la rentrée scolaire vont bon train. Les vacances, pour ceux qui ont eu la chance d’en prendre, se transforment déjà en souvenirs. Comme à chaque fois qu’on s’y arrête, on est effaré par la vitesse avec laquelle le temps a filé. «El wakt tay douz kif elmnam», aiment à répéter nos grands-mères. Et c’est si vrai! D’où la nécessité de distinguer ce qui est essentiel de ce qui ne l’est pas. D’autant que, sur un plan individuel comme collectif, à tout moment peut survenir un fait qui remet les pendules à l’heure.
Ainsi en a-t-il été de cette rentrée. Ces lignes s’écrivaient en savourant les dernières images de la grande fête mondiale de l’olympisme. Une fête au cours de laquelle l’emblème national s’est élevé dans le ciel d’Athènes grâce à la magnifique performance d’un Hicham El Guerrouj, deux fois médaillé d’or. Et la nouvelle est tombée : en Irak, les preneurs d’otages ont franchi un pas supplémentaire en enlevant deux journalistes français. En contrepartie de leur libération, ils exigent l’abrogation en France de la loi sur le voile. Ni plus, ni moins ! Du coup, nous voilà brutalement rappelés à la réalité de la pièce sanglante qui se joue actuellement sur la scène du monde.
Une pièce où Occidentaux et musulmans sont, les uns comme les autres, pris en otage : les premiers d’une politique américaine insensée qui déchaîne l’ire des humiliés, et, les seconds, d’une mouvance terroriste dont la folie calculée repousse à chaque fois plus loin les limites de l’innommable. A tour de rôle, nous, eux, endossons la peau de l’affreux et du barbare aux yeux de l’autre.
Engagés dans une logique dont l’objectif clair est de créer la guerre des civilisations, les protagonistes n’entendent laisser personne hors de l’engrenage. Ceux qui le refusent et tentent de préserver des passerelles d’autant moins. Aussi n’y-a-t-il pas lieu de s’étonner de ce que la France ait été à son tour la cible des tueurs en Irak. Comment est-ce possible, se demande-t-on a priori, quand on sait combien ce pays a gagné en respect et en reconnaissance dans le monde arabo-musulman en raison de ses positions sur la Palestine et sur l’Irak ? Certes l’affaire du voile a suscité l’incompréhension de certains milieux musulmans et réduit la vague de sympathie à l’égard de ce pays. Il n’empêche que l’image de la France et ses prises de position en matière de politique étrangère desservent les intérêts apocalyptiques des semeurs de haine et de mort.
Vu la condamnation vigoureuse par ce pays de l’agression contre l’Irak, les preneurs d’otages pouvaient difficilement se prévaloir de l’argument de l’occupation avec lequel ils ont justifié jusqu’alors leurs atroces décapitations. Quel meilleur prétexte que cette loi sur le voile, dont la promulgation a suscité de vives débats sur la scène française et ailleurs ? Au-delà de l’épisode en lui-même, épisode dramatique car la vie de deux hommes est en jeu, on ne peut que rester pantois devant l’outrecuidance de ces groupes qui s’arrogent le droit de disposer des affaires de toute une communauté. Cette mégalomanie a quelque chose de terrifiant.
Face à l’exploitation ignominieuse faite d’une problématique qui relève des affaires de leur Etat, les musulmans de France ont été prompts à réagir. Toutes sensibilités confondues, ils ont dénoncé, à l’unanimité, l’odieux chantage. Une jeune «voilée» s’est même proposée comme «otage de substitution» afin que son voile ne soit pas «ensanglanté». Mais, aujourd’hui, ce ne sont pas seulement les voix des musulmans de France qui doivent s’élever mais nos voix à tous. Hommes politiques, acteurs de la société civile, intellectuels, hommes de religion, simples croyants, tous, nous devons dénoncer cette prise en otage. Ce ne sont pas uniquement ces deux hommes, grâce au travail desquels notre droit à l’information s’exerce, qui ont été pris en otage mais chacun d’entre nous. Tous, tant que nous sommes, devenons progressivement les otages de cette idéologie de la mort. Et cela est insupportable.
Dieu, dans tout cela ? Plus on en parle et moins il est là