Idées
L’opacité du crédit à la consommation
Dans les publicités, le terme «gratuit» revient souvent, alors qu’il est évident que contracter un crédit
coûte de l’argent.

Même en ces temps de crise, le crédit à la consommation continue de connaître du succès. Cela tient largement au harcèlement publicitaire des sociétés de crédit. Les publicités se multiplient, aussi bien à la télévision que dans la rue, dans les magazines ou par courrier. Des offres de crédit qui se multiplient, des publicités qui vantent l’argent facile…, au point que deux ménages sur dix sont aujourd’hui engagés dans un ou plusieurs crédits à la consommation. Des activités hautement lucratives pour les établissements spécialisés, qui ne reculent devant aucun moyen pour attirer de nouveaux clients. En principe, les publicités et les informations relatives à des crédits à la consommation sont réglementées. Elles doivent mentionner clairement l’identité du prêteur et le type de crédit, ainsi que les conditions de prêt: durée de l’opération, taux effectif global (TEG, qui comprend les frais de dossier, l’assurance obligatoire et tous les frais annexes) et coût total (c’est-à-dire la somme des intérêts et des frais accessoires payés sur la durée du crédit). Cependant, la réglementation est peu respectée et les irrégularités sont fréquentes. Dans les publicités, le terme «gratuit» revient souvent, alors qu’il est évident que contracter un crédit coûte de l’argent. Les slogans laissent également entendre qu’un crédit permet d’augmenter le pouvoir d’achat de l’emprunteur. Enfin, les publicités insistent sur la facilité avec laquelle on peut obtenir des crédits et sur leur simplicité d’utilisation. En fait, il faut -du moins, en théorie- répondre à des critères précis pour avoir accès à un crédit. Et les offres qui précisent «sans aucun justificatif à fournir» sont adressées à des clients offrant toute garantie. Quant aux 48 heures, elles désignent le délai de mise à disposition des sommes empruntées une fois le dossier accepté. Mais l’acceptation prend au minimum sept jours, période durant laquelle tout emprunteur peut légalement se rétracter et revenir sur une décision prise trop rapidement. Autre constatation : les mentions obligatoires sont mal transcrites. Elles sont souvent affichées en petits caractères et elles sont souvent indiquées par des astérisques et en caractères quasiment illisibles dans un coin. En outre, les sociétés de crédit indiquent souvent plusieurs taux d’intérêt, si bien que le consommateur a du mal à s’y retrouver : taux nominal (hors assurance et frais de dossier), taux avec ou sans assurance facultative, taux effectif global, comment comprendre ces nuances quand on n’y connaît rien ?
Résultat de cette stratégie publicitaire : le recours au crédit est banalisé. Vivre à crédit apparaît comme quelque chose de simple et normal. Ainsi, le nombre de personnes qui recourent au crédit à la consommation augmente sans cesse et les établissements spécialisés coulent des jours heureux. Ce recours massif au crédit ne poserait pas de problème s’il ne concernait pas de plus en plus de gens économiquement fragiles. Car, si les publicités jouent à fond sur un hédonisme consumériste -«faites-vous plaisir sans hésiter»-, ce sont d’abord les familles à bas et à moyens revenus qui y ont recours. Ils en viennent à tout payer à crédit, même leur mouton de l’Aid Al Adha, leur nourriture et leurs vêtements, jusqu’aux livres de classe de leurs enfants. En principe, les ménages en difficulté sont exclus des offres de crédit. Les sociétés spécialisées utilisent en effet des pratiques dites de scoring pour vérifier que les clients sont solvables et qu’elles peuvent leur accorder un crédit. Elles sont censées vérifier que leurs revenus sont réguliers et suffisants et qu’ils ne sont pas inscrits sur le fichier des incidents de paiement de la banque centrale. Sur ces bases, seules les personnes capables de rembourser devraient pouvoir obtenir des crédits. Mais, dans les faits, tout est bien différent. Les vérifications de solvabilité sont fort réduites pour les crédits permanents. Plus généralement, l’intérêt des établissements de crédit est de prêter au plus grand nombre de gens possible : ils accordent donc des prêts aux personnes peu solvables, en leur imposant des taux d’intérêt beaucoup plus élevés que pour un client «ordinaire», afin de se prémunir contre le risque de défaut de paiement. On prête donc aussi aux pauvres, mais ceux-ci doivent s’acquitter de taux d’intérêt plus élevés. La logique financière qui s’applique aux entreprises et aux Etats joue donc aussi pour les ménages…
Conséquence : beaucoup de gens se retrouvent dans l’incapacité de rembourser. Et le nombre de ménages surendettés est en forte hausse. S’il est difficile de présenter le recours au crédit à la consommation comme seule cause de surendettement, on peut en effet supposer qu’il y contribue largement. Le scénario est presque toujours le même : des consommateurs contractent un crédit qu’ils n’ont pas forcément les moyens de rembourser. Puis, mis dans l’incapacité d’honorer leur dette, ils ont recours à un autre crédit pour rembourser le premier, et ainsi de suite. Ces gens finissent par atterrir dans une situation de surendettement et se trouvent contraints de négocier avec les établissements prêteurs pour abaisser le taux de crédit ou étaler les créances, plus rarement pour effacer la dette. Malgré le grand nombre de ces situations de surendettement, les pertes des établissements de crédit restent minimes. Des résultats sans doute dus aux pressions exercées par les sociétés prêteuses sur leurs clients : après le harcèlement publicitaire pour les convaincre de contracter un prêt, on les harcèle pour honorer les mensualités. Si bien que la plupart des emprunteurs finissent par rembourser leurs dettes, même si cela les met dans une situation financière parfois dramatique. Une plus grande transparence dans l’information des emprunteurs s’impose pour éviter ces situations et faire prévaloir une clarté dans les transactions.
