SUIVEZ-NOUS

Idées

L’indépendance de la statistique

Notre système statistique souffre de l’existence d’outils non harmonisés et d’un défaut de coordination qui porte atteinte à sa crédibilité. La loi sur la constitution d’un Conseil national d’information statistique préparée par le HCP en vue de remplacer le «défunt» comité de coordination des études statistiques est restée sans suite

Publié le


Mis à jour le

chronique Larabi Jaidi

Quel est le taux de chômage? Est-ce que la pauvreté régresse? Que disent les prévisions de la croissance pour l’année prochaine ? Comment évolue le pouvoir d’achat ? La classe moyenne s’étend-elle ? Quel est le taux d’électrification rurale ? Les dépenses publiques vont-elles aux catégories sociales qui en ont le plus besoin ? A ces questions, prises parmi une multitude d’autres possibles, la statistique publique apporte des éléments de réponse grâce à des enquêtes et en utilisant les sources d’informations d’origine administrative. Les réponses à ces questions donnent souvent lieu à des controverses sur la crédibilité de l’information. Parce qu’elles contribuent à éclairer le débat social et à guider l’action publique, les statistiques sont un bien public. Dans toutes les démocraties, l’indépendance professionnelle est reconnue comme l’une des conditions préalables à la crédibilité de la statistique publique. Faute de cette indépendance, les statistiques produites deviennent douteuses aux yeux des utilisateurs et les efforts pour en améliorer la pertinence sont vains. Qu’en est-il de notre réalité ?

Le dispositif statistique national est diversifié. Malgré l’existence du HCP qui joue un rôle central dans la production de l’information statistique et qui garantit ainsi un minimum de cohérence d’ensemble, il n’en demeure pas moins que le dispositif se caractérise par l’absence de véritable organisation systémique homogène. La coordination entre les multiples producteurs d’information (ministères, organismes…) passe essentiellement par l’utilisation d’outils communs : concepts, nomenclatures, répertoires… De nombreux ingrédients comptent dans la production de l’information : le nombre d’observations utilisées, la façon dont sont choisies ces observations, la façon de collecter les informations, de poser les questions…, mais aussi la nature des contrôles et des apurements. Notre système statistique souffre de l’existence d’outils non harmonisés et d’un défaut de coordination qui porte atteinte à sa crédibilité. La loi sur la constitution d’un Conseil national d’information statistique préparée par le HCP en vue de remplacer le «défunt» comité de coordination des études statistiques est restée sans suite. La qualité d’une statistique a des exigences scientifiques et déontologiques que seule l’existence d’une Autorité dédiée au respect des normes et des bonnes pratiques dans la production et la diffusion de l’information peut garantir. La validité d’un chiffre repose sur des méthodes et outils, étrangers au profane, rendant faciles les propos du «café de commerce» sur les inévitables trucages des chiffres. Les manipulations dans la production ne sont sans doute pas la menace la plus prégnante, bien que certaines statistiques restent hautement sensibles politiquement. En revanche, quatre autres risques peuvent affecter la qualité du débat public autour des statistiques : le recours à des chiffres dont la méthode de construction n’est pas connue et labélisée, la perte de confiance dans les chiffres de la statistique publique, l’instrumentalisation à des fins de communication politique, le manque de transparence dans la diffusion. Face à ces risques, la mise en place d’une Autorité de la statistique publique s’avère la preuve du souci de l’indépendance de la statistique publique.

Dans plusieurs pays, le «statisticien national» peut s’appuyer sur une instance collégiale pour détourner une partie des pressions qui s’exercent sur lui : commission centrale de la statistique aux Pays-Bas, conseil des gouverneurs de l’institut au Danemark, conseil de la statistique officielle en Suède, commission pour la garantie de l’information statistique en Italie. Ces organes peuvent renforcer l’autorité et la légitimité du statisticien national. 
La statistique publique française est gouvernée par une organisation ternaire : le service statistique public (l’Insee et les services statistiques ministériels) qui joue un rôle majeur dans sa conception, sa production et sa diffusion ; le Conseil national de l’information statistique qui assure en amont la concertation entre ses producteurs et ses utilisateurs ; l’Autorité de la statistique publique qui veille au respect des principes d’indépendance professionnelle, d’impartialité, d’objectivité, de pertinence et de qualité dans son élaboration. Au niveau européen, la Commission européenne a rédigé un code de bonnes pratiques de la statistique européenne. Cette initiative a débouché sur un document qui fixe quinze principes auxquels devraient se conformer les autorités nationales statistiques: le premier de ces principes est celui de l’indépendance professionnelle. Et afin d’en faciliter le respect, il est précisé que le principe doit être inscrit dans le droit.

L’idée s’impose qu’au niveau national, la création d’un organisme de gouvernance de la statistique publique serait une réelle garantie de l’indépendance dans la conception, la production et la diffusion des statistiques publiques nationales. Cette indépendance devait être étendue à l’ensemble de la statistique publique nationale et pas seulement à la production de statistiques par le HCP. Cette option, validée par une loi,  placerait notre pays dans une configuration très comparable à celle de l’Union européenne où, à côté du système statistique européen, figurent le conseil consultatif européen pour la gouvernance statistique et le comité consultatif européen de la statistique. Cette  évolution mettrait le service statistique public national en phase avec les derniers développements de la gouvernance statistique des pays démocratiques. Elle donnerait une représentation plus claire aux utilisateurs de la statistique publique. Elle préciserait les contours et le fonctionnement du service statistique public. Elle ouvrirait un vaste domaine d’opportunité à la recherche scientifique nationale en lui donnant des possibilités nouvelles dans le respect des règles de protection de la confidentialité.