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Idées

L’incitation à  l’épargne longue

La difficulté croissante des systèmes sociaux à  fournir des protections suffisantes incite désormais à  remettre les ménages au centre des préoccupations de la politique de l’épargne. Il devient nécessaire de diversifier les opportunités de placements, de minimiser les risques et les contraintes auxquels les ménages font face pour optimiser leur profil de consommation tout au long de leur cycle de vie.

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La Loi de finances 2011 prévoit d’introduire des innovations dans la politique de l’épargne. Trois produits sont appelés à diversifier le portefeuille des épargnants : le Plan Epargne Action (PEA), le Plan Epargne Logement (PEL) et le Plan Epargne Education (PEE).

Trois produits qui répondent à la préoccupation des pouvoirs publics de renforcer les mécanismes d’incitation à l’épargne longue. Dans le débat sur les dispositifs d’incitation à accorder à ces produits, un parti semble avoir été délibérément retenu : il consiste à aborder le sujet de l’épargne du point de vue du financement de l’économie plutôt que de celui des besoins des ménages-épargnants. Dans le passé, le financement de l’économie a le plus souvent constitué le premier objectif des politiques de l’épargne menées au Maroc. Selon les priorités du moment, il s’est agi d’orienter les placements des ménages vers le financement des déficits publics, des privatisations, des entreprises cotées, etc. D’où une multiplication de dispositifs au service non pas directement des ménages, mais des secteurs que finance leur épargne. Cette approche traditionnelle de la politique de l’épargne au Maroc trouve son origine dans la volonté de stimuler l’investissement, à une époque où les marchés financiers étaient encore peu développés. Elle est en outre étroitement associée à une vision du développement, dans laquelle la gestion des risques pesant sur les ménages relève quasi exclusivement des systèmes de protection sociale et de la solidarité nationale. Or, la difficulté croissante des systèmes sociaux à fournir des protections suffisantes incite désormais à remettre les ménages au centre des préoccupations de la politique de l’épargne. Il devient nécessaire de diversifier les opportunités de placements, de minimiser les risques et les contraintes (comportementales, institutionnelles, financières…) auxquels les ménages font face pour optimiser leur profil de consommation tout au long de leur cycle de vie.

Aujourd’hui, une part prépondérante de la richesse des ménages est constituée d’actifs immobiliers. Le patrimoine immobilier est bien plus diffusé dans la population que les valeurs mobilières. Or, l’immobilier devient un actif risqué, et sa détention peut donc conduire les ménages à détenir davantage d’actifs non risqués dans leur portefeuille financier. Mais les Marocains continuent de privilégier la pierre ou les placements financiers liquides et pas (ou peu) fiscalisés. Le patrimoine financier des ménages marocains est de taille modeste par rapport au patrimoine immobilier. Les actions ont une présence minoritaire dans leur portefeuille. Ce sont les ménages les plus riches qui ont la probabilité la plus élevée de détenir des actions (ou des valeurs mobilières). Mais,  en Bourse, les épargnants se diversifient trop peu, exécutent trop de transactions, et investissent de façon trop pro-cycliques. Dans la sélection des fonds d’investissement, trop d’importance est accordée aux performances passées.

Par ailleurs, les crises successives des marchés de capitaux remettent en cause non pas l’intérêt d’investir en actions dans une perspective à long terme, mais l’idée fausse trop souvent entendue selon laquelle les actions ne sont plus risquées lorsqu’on les détient suffisamment longtemps. Elle conduit à réexaminer la question de la rentabilité et du risque des actions du point de vue d’un épargnant à long terme. Il s’agit de remettre les ménages-épargnants au centre de la politique de l’épargne, en partant d’abord de leurs besoins plutôt que de ceux des secteurs à financer.

Fort heureusement, il n’y a pas, le plus souvent, contradiction entre les deux. Tout ceci ne veut bien sûr pas dire que les problèmes de financement de l’économie nationale n’importent plus, ni que la politique de l’épargne ne doit plus du tout en tenir compte. Il existe d’autres instruments plus appropriés que la politique de l’épargne pour promouvoir l’investissement des entreprises ou pour faciliter le développement de tel ou tel secteur. Aujourd’hui, l’objectif premier de la politique de l’épargne doit être de favoriser l’optimisation du bien-être des ménages dans une perspective de cycle de vie. Des réponses doivent être données à des questions-clés : Comment à l’avenir les ménages vont-ils pouvoir obtenir une épargne à long terme suffisamment rémunératrice, sans être excessivement exposés aux risques financiers ? Quel rôle peuvent et doivent jouer les politiques publiques pour aider les épargnants à faire face à cet enjeu ? Quels dispositifs peut-on imaginer, en matière de politique de l’épargne, pour essayer de mieux optimiser le couple rentabilité-risque de l’épargne à long terme des ménages ? En effet, les incitations qui contribuent au bon financement de l’économie nationale ne sont pas nécessairement celles qui conduisent à optimiser le couple rendement/risque de l’épargne des Marocains. En conséquence, l’intervention publique dans le domaine de l’épargne longue doit d’abord  et avant tout remédier à des biais de comportement des ménages et à des défaillances des marchés, en particulier pour fournir des protections contre des risques non assurables par les marchés.  Ceci conduit à une recommandation en matière fiscale : privilégier la neutralité entre produits plutôt que d’introduire des incitations supplémentaires.