Idées
L’Etat conscient des risques
Certains s’inquiètent du «gigantisme» des projets de
l’Etat en matière de logement social. Pourtant, les autorités
concernées sont vigilantes et, se fondant sur les enseignements des expériences
d’autres pays en matière de grands ensembles, ont élaboré
une véritable politique d’accompagnement pour éviter la fracture
sociale.
L’ article paru dans La Vie éco N° 4225 du 18 juillet 2003, relatif à la politique du logement social, qualifiée par un lecteur d’apocalyptique, appelle une réponse. Je pense que la politique actuelle prônée par le ministère délégué chargé du Logement et de l’urbanisme se fonde sur des constats réels, à savoir un déficit en logements à fin 2002 pour 1 240 000 ménages marocains, des conditions de vie désastreuses condamnant même certaines familles à vivre sur des décharges depuis plusieurs générations, sans eau, sans électricité, sans espoir de s’en sortir un jour et, surtout, sans dignité.
Ces situations, que l’on retrouve sur tout le territoire, sont-elles encore tolérables ? Un gouvernement digne de ce nom peut-il encore se permettre d’occulter les besoins vitaux de cette frange de notre population ? Il est évident que non !
La dignité d’une partie de la population passe par la production en masse de logements sociaux
La nécessité de conduire ces populations du rang de sous-citoyen au rang de citoyen passe par une plus grande production de logements sociaux, afin de satisfaire une demande en souffrance.
C’est ici que prend sa source le grand projet du ministère chargé du Logement et de l’urbanisme, dont l’objectif est d’atteindre une cadence de production de logements sociaux de 100 000 unités par an. Ce nombre fait peur et se trouve immédiatement relié à la politique des grands ensembles en France, qui s’est adressée à la même population, à savoir des personnes démunies provenant de l’exode rural, grands ensembles dont on sait aujourd’hui qu’ils ont largement contribué à la fracture sociale.
Il faut souligner, et peut être est-ce la partie immergée de l’iceberg, que la réussite de tout projet passe par un ensemble de mesures. Pour n’en citer qu’une, nécessaire, l’adhésion de tous les acteurs intervenant dans le processus est incontournable. Ceci implique un travail en synergie et une mobilisation totale :
– D’un ministère de l’Intérieur (concerné à plus d’un titre) dynamique, ouvert et présent, chargé, par le biais des communes, de la gestion et du développement des espaces économiques et sociaux et de la sécurité. Sachant que les prérogatives tentaculaires des communes (dahir du 21 novembre 2002) concernent : le développement économique et social, les finances, la fiscalité, les biens communaux, l’urbanisme et l’aménagement du territoire, les services publics et les équipements collectifs, l’hygiène et l’environnement, les équipements et l’action socio-culturels, la coopération, l’association et le partenariat.
– D’un ministère de l’Environnement jouant son rôle de garde-fou et d’incitateur à l’économie d’énergie et à la participation générale à la préservation d’un cadre de vie.
– Enfin, last but not least, d’un ministère de l’Education performant et citoyen, et d’une population éduquée, faisant partie intégrante de tout le processus.
– D’un état disposé à se mobiliser pour les grands projets urbains.
Si cette politique des grands ensembles n’a pas réussi, ce n’est pas seulement à cause du nombre élevé de logements, mais aussi, entre autres, du fait d’une inadéquation entre un «mode d’habiter» nouveau et des us et coutumes bien ancrés.
Aujourd’hui, au Maroc, les promoteurs, publics et privés, sont sensibilisés à cette problématique, on peut donc espérer que soient pris en compte tous les éléments énumérés plus haut et que les autres intervenants dans le domaine de la création de nouveaux quartiers résidentiels soient conscients de l’importance de leur mobilisation. Le ministère de l’Habitat maîtrise son sujet et mène, parallèlement à cette campagne, une politique de proximité basée sur différents axes, notamment la maîtrise d’ouvrage sociale pour le cas d’opérations de résorption de bidonvilles. Cette maîtrise d’ouvrage sociale se définit par un dispositif d’encadrement des ménages bénéficiaires à toutes les étapes des projets :
– information des ménages concernés dès la phase d’identification des programmes afin d’y intégrer leurs attentes ;
– aide à la constitution d’associations représentatives des habitants ;
– aide à l’estimation des dépenses (coût du foncier, coûts de la construction, de branchement aux réseaux d’eau et d’électricité, …) ;
– mise en place d’un système de financement adapté aux revenus des ménages ;
– assistance sociale et psychologique aux ménages, lors de la phase du transfert : mise en œuvre de solutions destinées à faciliter le relogement des habitants (cellule d’accompagnement social sur le terrain, prêt pour l’achat de matériaux, création de coopérative d’achats, crédits tournants, …) ;
– encadrement des ménages à reloger, en association, et la gestion des conflits en découlant ;
– intégration sociale et économique des populations par le développement d’activités génératrices de revenus, le micro-crédit, la promotion de l’auto-emploi et des micro-entreprises, l’accès aux services sanitaires et sociaux de base, l’appui à certaines catégories sociales (femme, jeunes …) ;
– l’adaptation du processus de recouvrement des coûts aux capacités financières des ménages ;
Dans le même registre, le ministère concerné mène une campagne de prospection auprès des pays reconnus pour leur réussite dans le domaine du logement social et de l’urbanisme, en vue d’instaurer des liens de coopération et d’échange d’expertises, d’où la mission effectuée récemment par le ministre de tutelle, Ahmed Taoufiq Hjira, au Brésil. D’autre part, il est accompagné par des pays tels la France, dont l’expérience face aux problèmes de fracture sociale due à la politique des grands ensembles des années d’après-guerre n’est plus à démontrer.
Proscrire le zonage, facteur de ségrégation et associer la population concernée aux opérations
Il est clair que le ministère chargé du Logement et de l’urbanisme est conscient des erreurs qui pourraient être commises; d’ailleurs, on constate qu’ il recommande un certain nombre de mesures aux opérateurs, notamment la prise en compte de l’environnement et la proscription du zonage, facteur d’exclusion et de ségrégation, de même que l’association du public concerné aux opérations, et ce n’est pas parce qu’on entend parler de 100 000 unités /an (chiffre à prendre au niveau national, bien évidemment) qu’il faut penser à de gigantesques projets d’habitat.
