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Les yeux de la tête

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rub 4395

Parmi les slogans qui ont fleuri en France durant cet été lors des grèves des intermittents, on en a relevé un qui en dit long sur le niveau intellectuel et humoristique des grévistes : «La culture coûte cher ? Essayez l’ignorance.» Pour certains, les lecteurs de la presse locale qui en avaient ras la casquette de suivre l’actu locale, celle des intermittents du spectacle en France a dû constituer un bol d’air en ces temps caniculaires. Ils auront appris au moins une chose essentielle : la culture est un vecteur de développement dont dépendent des économies régionales. En plus de promouvoir l’emploi et les régions concernées, plus de six cents festivals d’été, où quasiment tous les genres artistiques sont représentés, génèrent des ressources financières locales importantes. Bien entendu, les prestations de ces manifestations sont une contribution de l’Etat pour faire profiter les citoyens de leur droit à la culture. Voilà pourquoi la majorité de ces festivals sont nés et perdurent grâce aux subventions des pouvoirs publics.
Eh oui, la culture est aussi un droit qui figure bien dans la Charte des droits de l’Homme. On n’en est pas là, diront les «droits de l’hommistes» susceptibles de chez nous et dont la densité au mètre carré est en passe de supplanter celle de la population. Ici, on doit commencer par le commencement, disent les avertis en matière de droits, ceux qui ont des idées et des certitudes sur tout. «Il faut d’abord construire une démocratie», préconisent les plus laborieux comme si cette dernière était un jeu de Lego livré avec son mode d’emploi. «Il faut manger avant de philosopher !», répliquent spirituellement les tenants de la tendance alimentaire. Et puis il y a ceux qui ne voient dans la démocratie qu’une hérésie, une invention impie de l’Occident honni destinée à semer la discorde parmi les fidèles et à foutre le bordel dans la oumma, au propre comme au figuré. Bien sûr, on en trouve également qui la veulent apaisée et sereine à la manière de telle ou telle nation séculaire mais ici et maintenant. Et puis il y a ceux qui ne disent rien. On les appelle «majorité silencieuse» mais personne ne les a ni comptés, ni écoutés. Et pour cause : ils sont nombreux et peu causants. A peine en trouve-t-on quelques échantillons dits représentatifs, ici et là, au gré des sondages. Ce sont ces fameux «sans opinion» qui servent à affiner les tendances. Des faire-valoir en somme. Parmi eux se glissent le farceur, le rigolo, le «j’m’en foutiste», l’«à quoi bontiste» et l’abruti qui n’a pas compris la question. Ça fait du monde mais, en général, ça compte pour du beurre.
Et la culture dans tout ça !, me dit l’autre, car toute discussion à propos de la démocratie le sort de ses gonds. D’autant que la digression a pris des proportions politiquement incorrectes. Ah oui, la culture ! Sans elle, il n’est pas de véritable démocratie et vice versa. Voilà donc une réponse imparable de politicien chevronné qui sait que la solution importe moins que le problème. On n’est pas sorti de l’auberge !
Mais revenons à ce slogan brandi par les intermittents en grève au Festival d’Avignon : «La culture coûte cher? Essayez l’ignorance.» Il paraît que certains Etats ont essayé après avoir examiné des devis de construction de salles de théâtre, de musées, de conservatoires de musique et d’arts plastiques et des subventions de festivals régionaux. Enfin toutes ces activités dites culturelles destinées à lutter contre l’ignorance coûtent, effectivement, comme dirait un ancien ministre et édile de chez nous, les «yeux de l’athlète». Il faut avoir les yeux derrière la tête pour ne pas remarquer que l’ignorance ne coûte pas un rond à l’Etat comme à ce veinard d’ignorant qui n’a besoin ni de bouquins, ni de cinéma, ni de CD, ni de théâtre. Peinard le mec ! La seule dépense intellectuelle lui coûte uniquement l’effort de se lever le matin, de demander l’heure avant d’aller voir et humer les bus bondés qui passent en file indienne. Non vraiment, l’ignorance c’est donné au prix que coûtent maintenant les choses de la culture. C’est même économique, renchérit l’autre béotien chargé des anchita attaqafia al mouazia (activités culturelles parallèles ; parallèles à quoi ? On se le demande) à la CU TAB (Communauté urbaine de Tlat Oulad Blach)