Idées
Les trois défis de Benkirane
Le PJD a mis au-devant de son programme politique la nécessité de modifier le mode de gouvernance de l’Etat.
Le PJD a mis au-devant de son programme politique la nécessité de modifier le mode de gouvernance de l’Etat. A juste raison. Les dérèglements qui ont touché à l’organisation et au fonctionnement de nos institutions politiques ont alimenté un scepticisme récurrent qui a freiné le processus des réformes et empêché de tirer le meilleur parti de l’action gouvernementale. Trois dimensions de la gouvernance de l’Etat sont particulièrement visées : le rapport entre le gouvernement et les conseillers du Roi, l’architecture de l’appareil gouvernemental et les relations de l’Exécutif à l’institution législative.
Tout d’abord, les rapports du gouvernement aux conseillers du Roi. Au delà de l’apparence d’un gouvernement qui décide et gère avec ses départements ministériels, son administration, un autre lieu de pouvoir fonctionne, constitué autour du Cabinet royal et des conseillers du Roi. Cet espace exerce un pouvoir parallèle mais réel, tranche en dernière instance lorsqu’il s’agit de problèmes importants. Les liens personnels et directs qu’entretenaient des ministres avec des composantes de ces cercles ont souvent conduit à entraver la coordination gouvernementale. La reproduction de ce modèle risque d’affaiblir les relations du gouvernement dans ses rapports avec le pouvoir royal. L’éviction de ce risque exige une très grande attention à l’égard des positions d’influence concurrentes au gouvernement et une constante vigilance à l’égard des mécanismes d’affaiblissement des procédures institutionnelles. Car ce type de gestion discrédite le gouvernement auprès des autres acteurs de la vie politique, économique et sociale et porte atteinte à la conception même de la démocratie. C’est pourquoi il faudrait veiller à ce que les conditions du jeu politique soient favorables à l’instauration de rapports plus clairs entre la monarchie et le gouvernement, pour mieux définir l’application des compétences des conseils des ministres et du gouvernement. Tous les lieux de synergies entre ces deux instances devraient être activés et mobilisés dans ce sens.
Ensuite, la rationalisation de l’appareil gouvernemental. La mobilisation qu’exige la modernisation de l’Etat ne peut être envisagée sans une révision de l’architecture et du fonctionnement de l’institution gouvernementale. Le découpage ministériel revêt un caractère éminemment empirique, qu’aucune règle constitutionnelle ne vient rationaliser ni limiter.
Les derniers gouvernements ont généralement comporté plus d’une trentaine de postes. Trop souvent ce sont des raisons d’équilibre politique qui expliquaient semblable distribution. La multiplication des postes ministériels permettait d’étendre et de renforcer les majorités gouvernementales. Il en résultait d’inévitables confusions de compétences, des conflits d’attribution ainsi que la multiplication de «zones grises» dans lesquelles les responsabilités ne sont pas clairement identifiables. L’atomisation des structures engendre une approche éclatée et cloisonnée des problèmes, conduit à la multiplication des arbitrages interministériels, et rend plus difficile l’élaboration de stratégies globales. L’élaboration de décisions stratégiques ne peut s’accommoder de structures gouvernementales à la fois trop nombreuses et trop éclatées pour prendre efficacement en compte l’interdépendance des problèmes. Il est donc fondamental de réduire la dimension de l’appareil gouvernemental, de l’organiser en pôles, de l’adapter à un pilotage efficace du travail interministériel et au commandement de l’administration, à l’élaboration de véritables stratégies et à la prise en compte des grands dossiers transversaux, à la conduite d’une politique économique et sociale offensive.
Enfin, il est indéniable que la finalité de la représentation nationale est de promouvoir une logique d’efficacité des institutions du Royaume. Or, l’exercice de ce pouvoir a fait apparaître plusieurs types de dysfonctionnements. Il appartient au Parlement d’impulser des changements opérationnels dans sa sphère propre, dans son organisation et ses méthodes de travail, pour donner une orientation plus efficiente à sa fonction de contrôle et d’évaluation des politiques publiques et de l’effectivité des lois. Mais de son côté, le gouvernement peut appuyer ce changement par diverses procédures pour éviter que les deux Chambres ne soient réduites au rôle de simples chambres d’enregistrement et qu’elles exercent les pouvoirs qui sont les leurs en matière de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. La nouvelle Constitution a élargi les prérogatives du Parlement. Des pouvoirs dont la portée devrait être appréciée à sa juste valeur. Le moment n’est-il pas venu pour la représentation nationale de jouer un rôle appréciable dans le processus des réformes économiques et sociales ?
Les derniers gouvernements ont exprimé de manière éclatante le fossé qui sépare un discours politique de l’Etat aux accents modernisateurs, d’une pratique institutionnelle qui, dissociant l’autorité de la responsabilité, finit par reproduire tous les archaïsmes. C’est en opérant un aggiornamento politique que le gouvernement Benkirane conduirait les institutions politiques à renouer avec les vertus de la responsabilité et de la transparence, et consacrerait l’option moderniste comme horizon stratégique irréversible. Le renouveau politique que cette remise à plat institutionnelle autorise est seul de nature à crédibiliser l’action publique et à provoquer le sursaut citoyen attendu.
