Idées
Les travailleurs et les autres

Le dossier de la dernière livraison de La Vie éco sur l’opposition parlementaire est intéressant à plus d’un titre. Si tout le monde devinait que la véritable opposition était le PJD, le travail journalistique l’a prouvé. Chiffres à l’appui, les islamistes se présentent comme les acteurs majeurs de l’opposition parlementaire. A mon sens il y a plusieurs raisons à cela. La première tient à la nature des partis dits de droite. Nés avec l’approbation de l’Administration, ils n’ont élaboré ni projet, ni expertise en quelque domaine que ce soit.
Ainsi l’UC n’a «retoiletté» son programme économique qu’en 1997 en reprenant les discours des technocrates du gouvernement Filali. Le PND a adopté une plate-forme d’une incohérence absolue. Ces deux partis sont les premières victimes de la transhumance, ils n’ont pas de véritables structures et encore moins une vie partisane. Toute velléité de rajeunissement est combattue par les notables.
A l’inverse, le PJD est une organisation moderne, véhiculant une idéologie rétrograde. Ses militants sont de vrais militants, réfutant l’absentéisme parlementaire et vivant la législature comme un combat politique de chaque jour. Dans l’hémicycle, seul le groupe USFP et le PPS leur tiennent tête. Ce clivage-là n’est pas fortuit, il aurait dû constituer le cœur de la dernière campagne électorale, malheureusement les états-majors en ont décidé autrement. Pourtant, s’ils relisaient leurs classiques ils verraient que ce n’est pas, là aussi, une coïncidence.
En politique, les partis naissent, se développent et meurent en fonction de leur aptitude à répondre à des attentes réelles de la société. La mouvance populaire n’est pas un parti factice parce qu’à sa naissance elle exprimait le refus par l’arrière-pays du diktat d’une élite urbaine, réunie au sein du Mouvement national. On s’en est servi jusqu’à l’usure, sans décrédibiliser de manière définitive une mouvance qui continue à recruter chez les notables ruraux et a même réussi à s’attacher une élite suburbaine, pur produit de la ruralisation des villes et du système prébendier.
Les partis issus de la mouvance nationale ont pour eux, non seulement le combat pour l’indépendance, mais surtout leur action post-Indépendance; ce qui en a fait le porte-drapeau des aspirations des masses. Ils ont beaucoup déçu mais pas au point d’être laminés.
Le PJD bénéficie du phénomène islamiste comme réaction spontanée à la mondialisation, au soutien inconditionnel à Israël, à l’expansionnisme américain. Mais il est aussi la partie visible d’un iceberg régressif, rétif aux valeurs universelles, reflétant une réaction légitime au chemin cahoteux de la modernité. Celle-ci se réduisant pour le moment à une modernisation ayant profité aux uns et pas aux autres; ces derniers étant les plus nombreux. Force est de constater aussi que le PJD recrute dans les couches qui, auparavant, constituaient la clientèle du Tihad (USFP). Les couches les plus actives mais aussi les plus revendicatives. Le manque de mobilité sociale, la paupérisation de la petite bourgeoisie (médecins et ingénieurs compris) fournit au PJD un encadrement jeune, de qualité, qui pense avoir plus de chance au sein de cette mouvance qu’ailleurs.
Entre ces trois blocs, il n’y a plus qu’un réduit s’appuyant sur les notabilités citadines et périphériques. Ce réduit, s’il constitue toujours un vivier électoral, ne donne pas une véritable place sur l’échiquier politique, en terme de débat, de confrontation, d’encadrement sociétal. Ils sont nombreux à se le disputer alors que son existence dépend des autres.
L’USFP et les autres partis de gauche ne peuvent plus se payer de mots. Leur ennemi, c’est l’islamisme et son projet rétrograde. En «clivant» le débat, ils mettront hors-jeu ceux qui, de toute façon, ne figurent que sur les tablettes électorales. Une telle attitude aurait l’avantage de clarifier les choses et de mobiliser les citoyens. Les attitudes frileuses, elles, servent in fine le PJD. Celui-ci passe pour un parti de militants clean, décidés, travailleurs, ce qu’il est jusqu’à preuve du contraire. Seulement c’est un parti totalitaire.
J’invite mon confrère Chafik Laâbi à revisiter les statistiques de la législature 1977-83. L’USFP n’y comptait que 16 députés. Son groupe était, de loin, le plus actif. C’est en retrouvant cet esprit militant que la gauche fera barrage à l’islamisme. Pas en lui faisant les yeux doux. Il ne faut jamais souper avec le diable, même avec une grande louche
