Idées
Les opportunités de la crise
Même si les Etats les plus démocratiques se plaisent à l’oublier, la liberté de mouvement relève des droits humains fondamentaux.
En se présentant comme des forteresses assiégées par
les hordes du Sud, les pays
du Nord veulent nous faire croire que l’émigration actuelle est d’une ampleur sans précédent. Or, il n’en
est rien : elle est à 3%
de la population mondiale
comme elle l’était
au début du siècle dernier.

Selon le Bureau international du travail (BIT), le chômage mondial s’est accru de 20 millions cette année, son chiffre étant passé de 190 millions en 2007 à 210 millions en 2009. La crise financière qui, depuis un an, ravage l’économie mondiale est derrière cette explosion. Au premier rang des travailleurs touchés, les migrants. Sur les 200 millions de personnes installées à l’étranger, l’OCDE estime que la moitié est composée de travailleurs très vulnérables aux retournements de l’économie. Cette problématique, qui intéresse directement notre pays, a fait l’objet à Rabat, les 12 et 13 octobre, d’un colloque international organisé conjointement par le ministère des affaires de la communauté marocaine à l’étranger et l’Organisation internationale pour les migrations (OIT) sur le thème «L’impact des crises sur la migration».
Avec 10% de sa population à l’étranger, le Maroc a ressenti très vite cet impact-là. Dès le premier trimestre 2009, les transferts des MRE, qui interviennent pour 38% dans le PIB, accusaient une baisse de 14%. Le problème a été jugé suffisamment sérieux pour que le gouvernement prenne une série de mesures pour inciter les MRE à continuer à envoyer de l’argent au Maroc. Il y a cependant tout lieu de craindre que ces dispositions, aussi attractives puissent-elles être, n’aient pas la portée escomptée. En effet, si le rythme des transferts se ralentit, ce n’est pas tant parce que les MRE ne veulent plus mais parce qu’ils ne peuvent plus les opérer comme par le passé. Nombre d’entre eux sont au chômage et pour ceux qui ont la chance d’avoir conservé leur emploi, l’épée de Damoclès menace à tout moment de tomber sur leur tête. D’où une gestion de l’épargne, marquée par la plus grande prudence. Au cours de ces deux jours de colloque, rétrospectives historiques, études de cas et analyses appuyées sur des données chiffrées se sont succédé, mettant en relief la gravité de la situation vécue par les migrants et, par ricochet, son impact sur les pays. Pour ce qui est de la communauté marocaine à l’étranger, il a beaucoup été question de celle de l’Espagne, le pays européen le plus touché par la crise. Avec un chômage qui culmine à 17,6%, le voisin ibérique connaît des moments difficiles. Or, l’Espagne, avec l’Italie, a été au cours des deux dernières décennies, la destination de prédilection des candidats marocains à l’émigration. La communauté marocaine qui y est installée appartient essentiellement à la première génération. Elle est donc composée de personnes en situation de précarité sur le plan juridique, leurs droits étant tributaires de la possession d’un travail. Dès lors qu’ils perdent celui-ci, ils se retrouvent dépouillés de ceux-là. D’où, dans le contexte présent, une multiplication de situations dramatiques avec des familles contraintes à la séparation, la femme et les enfants retournant au Maroc pendant que le père, pour conserver sa carte de séjour, reste sur place.
Ce colloque eut le mérite de faire réfléchir sur une problématique complexe. De tout ce qui fut dit, on retiendra deux points, qui gagnent à ne pas être oubliés. Premièrement, la migration est une donnée naturelle de l’humanité. De tout temps, les hommes se sont déplacés et il est contre-nature de vouloir les garder confinés à un espace géographique donné. Même si les Etats les plus démocratiques se plaisent à l’oublier, la liberté de mouvement relève des droits humains fondamentaux. En se présentant comme des forteresses assiégées par les hordes du Sud, les pays du Nord veulent nous faire croire que l’émigration actuelle est d’une ampleur sans précédent. Or, il n’en est rien : elle est à 3% de la population mondiale comme elle l’était au début du siècle dernier.
Deuxième point à réfléchir et, surtout, à faire suivre d’actions : par les ruptures qu’elle opère, toute crise est porteuse d’opportunités nouvelles. Certes, et c’est normal, ce sont d’abord les retombées négatives qui retiennent l’attention, dans ce cas de figure, le ralentissement des transferts des MRE. Pourtant, il est une autre conséquence à cette crise dont nos pays peuvent tirer profit : ramener à soi toute cette matière grise qui s’est expatriée. Les transferts d’argent, aussi importants soient-ils, ne pourront jamais compenser ce que le développement d’un pays perd avec la fuite des cerveaux. Or le désarroi engendré par la crise en Occident crée un moment de flottement lors duquel ceux qui sont partis dans une perspective définitive peuvent repenser leurs choix. C’est le moment ou jamais de les faire revenir, d’avoir les arguments qu’il faut pour les y convaincre : le vrai sésame du développement, ce sont eux.
