SUIVEZ-NOUS

Idées

Les Å“ufs brouillés de la compétitivité

Il y a des acronymes malheureux comme celui de l’Association marocaine du textile et de l’habillement (l’Amith). Evoquer la mite lorsqu’on fabrique des tissus, c’est encourager cet acarien à  venir revendiquer des droits légitimes au logement dans les étoffes.

Publié le


Mis à jour le

rub 12238

Lorsqu’on aime les mots, comment ne pas apprécier les acronymes. Vous savez, ce sont ces mots bizarres formés des initiales des mots composant l’appellation, entre autres, d’un organisme, d’une entreprise ou d’une association : Onu, Ram, Wac, Pnud… Au Maroc, et de plus en plus, ce sont les associations, du fait de leur multiplication, qui rivalisent en trouvailles et se cherchent une identité visuelle et phonétique pour se distinguer.
Mais il y a toujours un problème, précisément phonétique, lorsqu’il s’agit de la langue arabe. Car il est très rare que le bilinguisme acronymique soit harmonieusement réussi et pour cause: l’acronyme n’a pas cours en arabe, ou alors c’est vraiment pour se marrer en usant de calembours franco-arabes qui peuvent se révéler succulents. Il arrive aussi que certains acronymes en français se retrouvent arabisés, par la force des choses, c’est-à-dire à l’usage quotidien, et intègrent par appropriation le parler local. Jusqu’à aujourd’hui et après plus d’un demi siècle, CTM (Compagnie de transports du Maroc) est restée «Satiame», lequel mot est maintenant transcrit en lettres arabes et adopté par la compagnie elle-même. Les exemples de ce glissement linguistique sont nombreux et en disent long sur le passage des mots dans d’autres langues. Ils traduisent par ailleurs la capacité du génie populaire à assimiler ces mots en les domestiquant et sans en faire tout un colloque sur l’aliénation culturelle et autres débats foireux sur l’identité, que nous allons très vite éviter ici. Revenons aux fondamentaux, comme dirait l’autre, pour rappeler aux oublieux que «Satiame» a toujours été le moyen de transport de ceux qui, justement, en ont les moyens. Les autres s’entassent à la «la Satas» et sur d’autres «Gazelles du Sud», dont les vitres arrière affichent des slogans qui fichent la trouille, du genre «Ala janah essalama» (sur l’aile de la sécurité) ou carrément kamikaze, du style : «Ala barakati Allah» (avec la bénédiction d’Allah).
Les acronymes les moins imaginatifs sont en général ceux des associations professionnelles ou corporatives.
L’obligation de se déclarer «association nationale ou marocaine» nous vaudra d’emblée le «AN» ou «AM» d’usage.
C’est après que ça se gâte car tout dépend de la raison sociale ou de l’activité. On peut passer en revue un glossaire long et rébarbatif qui s’allonge de jour en jour et dont la presse nous révèle l’existence à la faveur d’une actualité ou d’une conférence de presse en temps de crise. Il y a aussi parfois des acronymes malheureux comme celui de l’Association marocaine du textile et de l’habillement (l’Amith). Evoquer la mite lorsqu’on fabrique des tissus, c’est encourager cet acarien à venir revendiquer aussi des droits légitimes au logement dans les étoffes. Mais le dernier acronyme qui vient de communiquer sur ses déboires et donc de se faire médiatiser est l’Anpo (Association nationale des producteurs d’œufs de consommation). On a fait sauter le «C» de consommation pour que l’acronyme sonne bien, juste, moderne et neuf comme un œuf qui vient d’être pondu. Autrement, avec Anpoc, prononcé «anepoque», ça faisait plouc. Et on ne vous dit pas ce que cela donnerait si l’on se mettait à l’arabiser. Selon une étude réalisée par l’association, les Marocains mangent peu d’œufs, soit 110 unités seulement par an. Ceux qui croyaient que le Marocain lambda, et uniquement durant le Ramadan, consommait une quantité industrielle d’œufs durs après la rupture du jeûne en sont pour leurs (œufs) frais. Et bien sûr, comme il n’est pas de bon diagnostic sans benchmark, on nous précise, comme si on ne s’en doutait pas, que l’ Européen, lui, s’envoie en moyenne 231 œufs par an. Mais, sachant qu’un euro est égal à 11 dirhams, on peut dire, en «benchmarkant» un chouïa, que le Marocain s’en sort relativement pas mal.
Inquiet mais combatif, le président de l’Anpo, M. Zaïme, qui porte bien son nom, a alerté l’opinion publique et les responsables sur le risque encouru par la filière avicole si l’on ne règle pas la question de la compétitivité et celle de l’augmentation de la production et donc de la consommation : il faut 5 milliards d’œufs par an alors que nous en produisons seulement 2 milliards. Les poules doivent donc se mettre au travail et l’Etat doit pondre le cadre d’application du contrat-programme signé dernièrement avec les professionnels.
Pour résumer la teneur de cette conférence de presse de l’Anpo, un quotidien de la place a choisi sans rire ce titre ouvert comme une porte sur un précipice : «L’œuf marocain n’est pas compétitif.» On est tenté de répliquer : et le bœuf ?