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Idées

L’épreuve de vérité arabe

Le monde arabe fait face, aujourd’hui, à  une épreuve de vérité : sa capacité de construire une alternative démocratique à  des systèmes autoritaires.

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Mis à jour le

Larabi jaidi 2011 03 01

Le monde arabe apparaît aujourd’hui en pleine effervescence politique et sociale. Les crises internes et les tensions internationales s’y sont cristallisées et ont fini par produire cette éruption sociale au-devant de la scène politique mondiale. Rien n’avait prévu une telle conflagration tunisienne et ses effets dominos. Qui s’aviserait, aujourd’hui, de prédire l’évolution des mouvements actuels ? Lorsque de multiples variables sont à l’œuvre, même le plus hardi des pronostiqueurs s’abstiendrait de toute prédiction. Cernons cependant au moins deux données politiques majeures qui vont imprégner le cours des choses. Tout d’abord, la marge d’initiative laissée par les rapports de force géo-politiques aux acteurs internes. Il est évident que ces équilibres instables -ceux de la carte géopolitique, ceux des rapports de force- pourraient être déterminants dans l’issue de ces (r)évolutions. Les zones de tensions demeurent et l’équilibre de la région achoppe sur les mêmes problèmes : question palestinienne, contentieux territoriaux, rivalités autour du pétrole et de l’eau…Deux autres données s’y ajouteront : l’affaiblissement du Machreq arabe au profit de l’Iran, de la Turquie et éventuellement d’Israël et une accentuation des clivages entre nantis (les pays du Golfe) et nations «prolétaires». En l’absence d’instance régionale et internationale capable d’influencer le cours des choses, la raison du plus fort est la seule. Une telle situation est propice à d’autres crises, d’autres ambitions et d’autres candidatures au leadership.

Ensuite, il y a l’autonomie de l’instance politique : celle de l’Etat envers la société. Elle peut aller de la reconfiguration du pouvoir par des forces structurées (l’armée) à l’affirmation de l’autonomie des mouvements populaires, dont le jaillissement peut susciter une transformation du champ politique. L’issue finale dépendra de l’héritage «institutionnel» laissé par  un éventail de régimes et de modes de pouvoirs très divers dont il faudrait évaluer les éléments de force, de fragilité et de cohérence. Quels types de régimes sont les plus à même de changer? Les mouvements sociaux qui se déploient se réduiront-ils à une convulsion passagère? Seront-ils détournés en «révolutions passives» -selon la formule Gramsci-, manipulés par de nouveaux candidats au pouvoir autoritaire? Sans doute, si ces poussées ne suscitent pas de convergences entre les différentes composantes des forces de contestation et si elles ne trouvent pas d’expression intellectuelle et politique.  Quelles forces pourraient assurer ces dynamismes ? Si l’on se place dans une perspective sociologique, aucune classe n’a une assise économique suffisante. Aussi, les luttes ne se structurent-elles pas tant en fonction de rapports de production qu’en fonction des rapports avec l’Etat, opérateur principal de l’organisation sociale. L’islamisme a-t-il une aptitude à dépasser la seule contestation et à proposer un modèle crédible de société ? Lequel ? A l’exception de la Turquie, le bilan fait ressortir un impact effectif en ce qui concerne les mœurs mais bien peu d’innovations en matière économique et dans les rapports sociaux. C’est que l’intégrisme a subi désormais l’épreuve du pouvoir, en Iran ou ailleurs, et a du mal à gérer ses échecs. Mais un syncrétisme entre certains éléments du nationalisme arabe et de l’islam politique, une réélaboration idéologique des mythes mobilisateurs populistes est une autre possibilité. Verra-t-on la constitution de deux «blocs historiques», l’un se réclamant des affirmations identitaires, l’autre d’une démocratisation ? Le faible enracinement de la culture démocratique, la dépendance d’une grande partie de la société envers l’Etat bloqueront-ils les potentialités de renouveau ?

Dans ce paysage complexe, trois scenarios contrastés peuvent être envisagés : D’abord le scénario de la reproduction d’un système autoritaire légèrement libéralisé: ses conditions favorables sont la faiblesse des oppositions, la solidité des soutiens extérieurs et le rôle structurant de l’armée. Cette reproduction dans l’inertie concernerait les pays qui bénéficierait des aides financières des grandes puissances ou des pays du Golfe, dont la population demeurerait structurée par les solidarités traditionnelles et où le gouvernement patriarcal perdurerait.   L’autre scénario plausible est une onde contestataire conjuguant les impasses du développement et de la régulation sociale avec une usure du capital de légitimité étatique. Les mouvements de contestation déboucheraient sans doute sur de nouvelles formes de populismes autoritaires. Le troisième scénario, plus optimiste, serait celui  d’un développement politique, au sens où la politologie américaine l’entend. Il exigerait à la fois une dynamique de croissance, une amélioration des niveaux de vie, l’émergence ou la consolidation de la société civile, une démocratisation des institutions et un renouvellement des groupes dirigeants. Au bout de ce panorama, l’imprévisibilité demeure la chose la mieux partagée. Sans doute parce que nous sommes dans une nouvelle période historique qui n’est plus celle de la Nahda, des libérations nationales, et parce que le monde arabe fait face, aujourd’hui, à une épreuve de vérité : sa capacité de construire une alternative démocratique à des systèmes autoritaires.