Idées
Le vieux est mort et le neuf hésite toujours à naître
La posture de leadership porteuse d’un rêve de transition démocratique a cédé la place à une timide occupation de quelques maroquins que symbolise sans fard la détention par un chef historique d’un portefeuille de décor.

L’USFP tire sa révérence. Le parti quitte une majorité douillette, devenue trop pénalisante pour rejoindre la posture de ses années de lustre: l’opposition et ses aires enchanteurs. Le rideau tombe sur une présence en continue d’une quinzaine d’années sur la scène gouvernementale. A un rôle de premier plan ont succédé des prestations ministérielles distribuées au gré d’une mise en scène politique orchestrée par d’autres acteurs. La posture de leadership porteuse d’un rêve de transition démocratique a cédé la place à une timide occupation de quelques maroquins que symbolise sans fard la détention par un chef historique d’un portefeuille de décor.
Aujourd’hui, l’USFP va devoir s’interroger sur les raisons de son échec, et entreprendre enfin une mutation trop longtemps différée. En premier, il y a cet enfermement du parti dans une responsabilité de gestionnaire des affaires publiques identifiée beaucoup plus aux compétences ou aux défaillances de ses ministres qu’à la politique d’une organisation forte de sa vision, de ses méthodes et d’un art de gouverner dans l’autonomie et la responsabilité. En second lieu, il y a cet autisme politique face aux appels de la société, la dilatation de la distanciation sociale. L’USFP a tellement intériorisé cette présence au «pouvoir» qu’elle s’est sentie dispensée de bousculer les tabous, d’investir de nouveaux champs. Comme si la légitimité qu’elle tenait de son capital historique était une source inépuisable de reconnaissance du peuple.
C’est cet état d’esprit qu’il s’agit de changer. Ce qui suppose des révisions courageuses de la doctrine et de la pratique politiques, en commençant par faire l’analyse juste de la société, de ses mutations, des ambivalences de la modernité et du conservatisme qui la traversent en profondeur. L’USFP doit accepter de penser et d’agir autrement. Cela suppose qu’elle ait le courage de s’affranchir d’une déviance et d’éviter une dérive. La déviance est celle du sectarisme d’appareils vieillissants, coupés des mouvements et de la diversité de la société, des jeunes, des intellectuels, des syndicats et des associations, des nouvelles formes d’actions revendicatives et des nouvelles solidarités. La dérive est celle de retrouver les oripeaux d’un discours et d’une praxis gauchisants, populistes et vaguement tribuniciens. Cette posture risque de bloquer la capacité à formuler positivement un projet novateur et crédible. C’est d’une gauche de transformation sociale et d’action que le Maroc a besoin, plutôt qu’une gauche otage de ceux qui ne veulent pour rien au monde assumer l’exercice des responsabilités. Il faut imaginer un processus qui transforme en profondeur l’USFP et la gauche marocaine, devenues aujourd’hui des institutions affaiblies par la récurrence de pratiques productrices de divisions et d’échecs. Il faut changer ces mœurs et apprendre à conjuguer autrement richesse du pluralisme avec l’impératif du rassemblement et de l’efficacité.
Disons – le sans détour?: l’USFP est entrée dans ce moment identifié par Gramsci comme le point critique d’une crise : le vieux est maintenant mort et le neuf hésite toujours à naître. La bataille de la refondation sera de longue durée. On ne rebâtit pas une vision et un projet pour le Maroc en une législature. Il ne s’agit pas de penser que la rénovation serait faite parce que le parti tiendrait un congrès, organiserait des colloques ou changerait de leaders. Il faut être plus profond, plus interactif avec les autres composantes de gauche, avec ses partenaires, le mouvement associatif, les élus, les syndicalistes, avoir une phase d’écoute, une phase de propositions, une autre de confrontations, inventer de nouvelles formes d’élaboration collective. Autrement, ce seront les mêmes enfermements, les mêmes malentendus qui perdureront, et la gauche, dans son ensemble, restera dans l’état où elle se trouve aujourd’hui : divisée, fragilisée, repliée, méfiante et sans perspective réellement novatrice et mobilisatrice. C’est toute la gauche qu’il faut reconstruire en brisant les anciennes frontières pour faire émerger une force neuve, conquérante et fédératrice, sûre de ses valeurs et de son projet. Cela devrait amener à transgresser les frontières d’appareils politiques qui survivent pour d’autres raisons qui n’ont plus leur raison d’être : la fidélité à une histoire révolue, la défense d’intérêts particuliers. L’urgence, c’est donc le réarmement théorique et pratique de la gauche, c’est d’organiser dès maintenant la contre-offensive culturelle et organisationnelle.
