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Idées

Le Parlement face au Budget

le Parlement dispose de prérogatives extrêmement importantes en matière de contrôle de la dépense publique, mais elles sont peu utilisées. Le cadre traditionnel et inefficace des questions orales ou écrites au gouvernement porte peu sur la gestion de la dépense publique, la possibilité de constitution de commissions d’enquêtes parlementaires est peu utilisée, la coopération entre le Parlement et la Cour des comptes reste embryonnaire…

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Le Budget nouveau est arrivé. Un peu plus tôt que les pluies, et un peu moins généreux aussi. Car le Budget de l’Etat -en fait, la Loi de finances initiale, selon la terminologie officielle- peine à se donner une belle allure dans une conjoncture de «sécheresse» économique : 277 milliards de dirhams de charges, 264 milliards de recettes. Les comptes étaient difficiles à boucler: les charges et les recettes – fournies essentiellement par les contribuables – devraient croître modérément. Devraient, car les parlementaires sont évidemment souverains et peuvent modifier à leur guise le projet qui leur est proposé par le gouvernement, sous réserve, cependant, que toute dépense nouvelle soit gagée par une recette nouvelle au moins correspondante. Comme l’alourdissement des impôts n’est pas vraiment populaire, il ne fait pas l’ombre d’un doute que la Loi de finances votée sera quasi identique à celle proposée par le gouvernement. Le gros du rapport de force entre exécutif et législatif se joue au moment du vote de la Loi de finances initiale ; l’exécutif, comme son nom l’indique, ne doit en théorie qu’exécuter la volonté des représentants du peuple. Mais, dans les faits, le gouvernement dispose d’armes puissantes pour imposer son bon vouloir. De plus, la tutelle étroite et tatillonne du ministère de l’économie et des finances (MEF) sur le reste de l’exécutif suscite des questions au sein même du gouvernement quant à la cohérence de l’action des pouvoirs publics. En fin de parcours et après des journées et des nuits de joutes oratoires, seules quelques très minces retouches seront apportées à la mouture initiale.
Mais qu’on le veuille ou non, l’examen de la Loi de finances reste un temps fort du débat budgétaire. Il déborde naturellement le cadre de travail des commissions et des séances plénières pour irradier la presse, les acteurs économiques et sociaux et l’opinion publique. La principale question demeure la place de la représentation parlementaire dans l’élaboration du Budget. Le gouvernement a l’initiative et le Parlement ne peut agir que sur la structure. La Constitution lui interdit d’augmenter les dépenses ou de diminuer les recettes. Elle permet au gouvernement de faire adopter un texte de loi tel qu’il le présente si la fronde des parlementaires se fait trop vive. Modifier ces dispositifs constitutionnels restrictifs est un autre débat, qui viendra, peut-être, en son temps. Mais si l’on veut modifier les rapports entre le législatif et l’exécutif, les articles restrictifs de la Constitution ne sont pas seuls en cause.
Certes, le Parlement dispose de peu de marges propres mais il peut améliorer sa prise sur la structure budgétaire elle-même. Au lieu d’attendre que le Budget arrive en discussion quasiment ficelé, il peut revendiquer d’être associé en amont à son élaboration. Il peut réduire la possibilité qu’a le MEF de se glisser dans les méandres de la comptabilité publique : les budgets annexes et les comptes d’affectation spéciale pourraient être progressivement supprimés, les garanties de prêt accordées par l’Etat et les reprises de dettes d’organismes parapublics réintroduits dans le champ du budget.
En tout état de cause, le Parlement doit être mieux informé sur l’état et les perspectives des finances publiques. Les parlementaires ont surtout une mauvaise connaissance du détail des opérations budgétaires. La diffusion d’un ensemble de documents, de rapports et d’annexes assortis au projet de loi est censée expliciter les hypothèses sur lesquelles repose le projet, les objectifs de la politique gouvernementale, ses contraintes et ses choix. Assurément c’est un progrès dans la transparence et la signification des comptes publics. Mais la véritable question est celle de l’utilité réelle de cette masse d’information abondante : est-elle exploitable ? Est-elle utilisée de manière opérationnelle ?
Dans la pratique, le Budget réel peut s’écarter du Budget voté. Au cours de l’année, de nombreux événements extérieurs vont interférer : les recettes fiscales sont influencées par la conjoncture, certaines dépenses imprévues peuvent devoir être mises en œuvre, etc. Les ajustements, parfois importants, en cours de route et les astuces à répétition faussent la transparence des écritures comptables. Sur ce point aussi, le Parlement peut exercer une veille sur les «cagnottes fiscales», la dépense publique, les annulations, les réaffectations et l’évolution de la programmation pluriannuelle des crédits, les changements intervenus dans le financement du déficit budgétaire. Que fait le Parlement pour contribuer à un meilleur suivi des indicateurs de résultats associés aux objectifs de l’action publique ? Pour l’instant rien de bien saillant. Pourtant, un rapprochement entre les résultats atteints et les moyens engagés éclaire les évaluations des décisions politiques. Il est donc indispensable que le pouvoir législatif s’implique dans l’appréciation de l’impact de la dépense publique, d’autant que les pratiques actuelles ne sont encore qu’embryonnaires. Tant que le Parlement ne sera pas en mesure ou ne voudra pas assumer directement la maîtrise des finances publiques, le Budget restera sous «mainmise» de l’exécutif. Dans les réformes budgétaires en cours ou à venir, ne faudrait-il pas renforcer le contrôle des élus et, en conséquence, la démocratie financière ? Certains vous diront que la question est semblable à celle du mode de scrutin : introduire davantage de démocratie paraît nécessaire, mais cela se traduira-t-il par plus d’efficacité ? Le spectacle désolant des assemblées aux traverses vides ne plaide pas en faveur des parlementaires. Pour changer le cours des choses, il ne faudrait pas seulement plus de moyens de décision et d’expertise. La responsabilité doit être au cœur de la démocratie.
D’autre part, le Parlement dispose de prérogatives extrêmement importantes en matière de contrôle de la dépense publique, mais elles sont peu utilisées. Le cadre traditionnel et inefficace des questions orales ou écrites au gouvernement porte peu sur la gestion de la dépense publique, la possibilité de constitution de commissions d’enquêtes parlementaires est peu utilisée, la coopération entre le Parlement et la Cour des comptes reste embryonnaire, les instruments de contrôle, telle que la loi de règlement, sont complexes et inadaptés. D’autres obstacles -historiques, politiques, culturels -expliquent que le contrôle parlementaire ne soit pas chez nous un acte régulier et ordinaire.
La constat est encore plus édifiant en matière d’évaluation. L’évaluation des politiques publiques n’est pas synonyme de contrôle de la dépense publique. Dans le premier cas, il s’agit d’estimer l’efficacité de ces politiques; dans le second, il s’agit de vérifier la régularité des opérations effectuées. Ces deux actions sont complémentaires et devraient se renforcer. Il est paradoxal de noter que si le Parlement est doté de prérogatives importantes en matière de contrôle, il apparaît, en revanche, relativement dépourvu de capacités d’évaluation. Les parlementaires ne disposent pas de rapports d’impact permettant d’évaluer a priori les effets administratifs, juridiques, sociaux, économiques et budgétaires des mesures envisagées. Le Parlement ne dispose, en général, d’aucune simulation des projets de mesures fiscales ou autres qui lui sont soumis. Il n’est pas saisi des rapports de contrôle effectués par les corps d’inspection sur la gestion des ministères et des établissements publics.
Dans la plupart des pays démocratiques, des dispositifs d’évaluation des politiques publiques ont été mis en place au sein des institutions parlementaires. Elles traduisent l’ambition du pouvoir législatif  de se doter de moyens d’expertise autonomes vis-à-vis du gouvernement et d’entreprendre ses propres travaux d’évaluation. Prendre exemple sur les expériences étrangères et les adapter à notre contexte ne peut qu’améliorer l’exercice du pouvoir législatif. La représentation nationale a joué un rôle appréciable dans le processus des réformes économiques et sociales. Il lui appartient aussi de les rendre rapidement effectives. Le moment n’est-il pas venu d’impulser des changements opérationnels dans la sphère propre du Parlement, dans son organisation et ses méthodes de travail, pour donner une orientation plus efficiente à sa fonction de contrôle et d’évaluation des dépenses publiques et de l’effectivité des lois.