Idées
Le local s’interroge sur son avenir
le territoire n’est plus seulement un espace géographique neutre, réductible à des questions de coûts et de distance. Ses fractionnements ne sont point des réceptacles passifs dont l’organisation spécifique est peu susceptible de sécréter ou d’inhiber du développement

Le Maroc est à la veille d’une réforme de son régime d’organisation territoriale. La rencontre organisée par le ministère de l’économie et des finances et l’Association pour la Fondation internationale des finances publiques a été un moment fort et riche en débats par le croisement des regards sur les synergies entre Finances de l’Etat et Finances publiques locales. En toile de fond de cette question sont concernées aussi bien la compétitivité et la solidarité territoriales du pays que l’efficience économique de ses institutions locales. Dans cette perspective, le renforcement des compétences des Collectivités territoriales et à leur tête la région et l’alignement des moyens qui leur seront dévolus sur les charges qu’elles seront appelées à assumer deviennent un enjeu majeur du développement économique. C’est sur leur mise en cohérence que repose principalement l’autonomie d’action des unités territoriales et la responsabilisation des élus. Le défi futur de l’action des collectivités territoriales est de passer d’une logique d’aménagement à une logique de développement. L’expérience de la décentralisation a mis en lumière qu’initiative, autonomie, pouvoir ne seront possibles qu’avec une véritable décentralisation des ressources et des financements.
La question du financement du développement local est complexe. Elle n’est pas assujettie à la seule mobilisation des ressources fiscales. Il existe des dizaines de fonds, de comptes spéciaux qui œuvrent au développement local. Les ressources publiques injectées dans les territoires par différents circuits (budget de l’Etat, budget des collectivités, interventions des entreprises publiques…) s’enchevêtrent sans pour autant conforter les convergences des politiques publiques. On a des difficultés à rendre lisible et à mesurer l’impact de ces flux financiers sur le développement réel des territoires. Un état des lieux de l’ensemble du dispositif financier public s’impose pour fixer des règles de jeu objectives et rigoureuses dans les relations financières avec l’État. Certains principes devraient être clarifiés : la solidarité financière fondée sur des critères d’équité territoriale, le renforcement de l’autonomie fiscale locale, la nécessaire concertation entre l’État et les collectivités territoriales sur la régulation globale des finances publiques.
La question du développement économique local est une question non encore pleinement appropriée par les acteurs locaux. Pourtant, l’ouverture des frontières aux échanges déstabilise les avantages comparatifs acquis. Elle distingue des territoires connectés au monde en compétition, de territoires et d’espaces marginalisés ou carrément exclus de ces dynamiques. Ces fractures obligent à construire en permanence de nouvelles approches du développement local au sein desquelles les ressources «construites» (savoir, compétences, organisations) prennent une importance relative accrue par rapport aux ressources «données» (terre, main-d’œuvre, capital). Cette réalité révèle que le territoire n’est plus seulement un espace géographique neutre, réductible à des questions de coûts et de distance. Ses fractionnements ne sont point des réceptacles passifs dont l’organisation spécifique est peu susceptible de sécréter ou d’inhiber du développement. Il est plutôt un lieu où des entreprises, des collectivités et des individus inscrivent leurs actions. Il est devenu acteur à travers le produit de leur interaction. Plus que les facteurs macro et mico-économiques, le territoire incarne désormais les nouveaux ressorts de la compétitivité : la mobilisation du savoir des hommes, leurs capacités d’organisation productive, la valorisation des singularités. La performance des entreprises ne s’entend plus sans un environnement de qualité que seule une communauté d’acteurs (le capital social) peut organiser et maintenir dans ses dimensions productives, mais aussi sociales, culturelles et environnementales.
La traduction dans les faits de l’émergence du territoire reste suspendue à la capacité de l’Etat à redéployer ses interventions, libérer les initiatives et faire participer les citoyens. On y a pourvu jusqu’à présent par des demi politiques. Centralisme du gouvernement et intervention sectorielle constituent toujours le mode privilégié de définition de l’intérêt général et de la conduite du développement économique. Or, la territorialisation de l’action publique est la dimension la plus immédiatement associée à la rhétorique de la proximité. Elle ne peut être assimilée à une simple déclinaison territoriale de l’action de l’Etat. Elle signifie plutôt de rapprocher la décision publique des lieux d’émergence et de règlement des problèmes économiques et sociaux. Elle rend la déconcentration d’une urgente nécessité. Elle préfigure un nouvel équilibre dans le positionnement de l’Etat sur les territoires et par rapport aux autres acteurs. C’est autour de cet équilibre que se noue un double enjeu d’approfondissement démocratique et d’efficacité gestionnaire.
On a parfois défini de façon imagée le territoire par la combinaison de hardware, software et orgware. Le hardware renvoie aux infrastructures, aux facteurs, le software aux caractéristiques socioculturelles, l’orgware s’analyse enfin comme la capacité d’articuler l’ensemble, d’engager tous les acteurs dans des dynamiques à même de générer apprentissage collectif et solutions nouvelles, c’est-à-dire créer les conditions du développement local. Cette représentation incite à repenser le bien-fondé des principes organisateurs de la politique de développement territorial tels qu’ils sont mis en œuvre actuellement. Ainsi, sera rendue possible une évaluation objective de la «bonne gouvernance» des territoires, cette notion impliquant que les responsables élus apprennent à assumer leur mission dans un véritable esprit de service public, que des comptes soient rendus aux gouvernés et que l’action des gouvernants soit soumise à un contrôle démocratique.
