Idées
L’art de la diversion
Du mécontentement, le gouvernement Benkirane va y être confronté de plus en plus. D’où la nécessité de détourner l’attention du citoyen en allumant des contre-feux à intervalles réguliers sur le terrain du religieux et de la protection des «fondamentaux de la nation». Donc maintenant, c’est feu sur la publicité pour les alcools. Cela ne coûte rien et cela entretient l’image surtout si une nouvelle polémique se déclenche qui oppose les « bons » musulmans aux mécréants de tout bord.

Franchement, ils sont forts ! Chapeau bas ! L’art de la diversion n’est pas donné à tout le monde. Or nos islamistes sont de vrais maîtres en la matière. Pour faire oublier les nuages, de plus en plus sombres, qui s’amoncellent à l’horizon du gouvernement, ils ont toujours un lapin en réserve à tirer, comme par magie, de leur chapeau. Après l’interdiction à la télévision de la publicité pour les jeux de hasard, puis la polémique créée par les cahiers des charges de l’audiovisuel, voilà qu’ils remettent cela avec leur proposition de loi visant à interdire la publicité pour les boissons alcoolisées. Comme par hasard, ce dépôt est intervenu au lendemain de la démonstration de force de la CDT et la FDT, alors que M. Benkirane expérimentait à ses dépens la contestation populaire.
Ce dimanche 27 mai, les oreilles du chef du gouvernement avaient dû méchamment siffler. En effet, au cours de cette «marche nationale» qui a réuni plusieurs dizaines de milliers de personnes, le chef du gouvernement a été copieusement pris à parti. Mais ce qui a dû, très probablement, être le plus dérangeant pour lui, vu la nature de leurs relations, c’est de voir dans les mots d’ordre des manifestants, son nom accolé à celui de Fouad Ali El Himma. Dur, dur de passer de l’autre côté de la barrière !
Cette proposition de loi tombe donc alors que les cent jours de grâce ayant été consommés, le gouvernement Benkirane doit faire face à une situation économique et sociale de plus en plus délicate. Ainsi, pour ce premier trimestre 2012, les principaux indicateurs sont-ils au rouge. Les dépenses publiques flambent (16,5%), alors que le déficit commercial continue à se creuser (16,6% à fin avril 2012). Jeudi 31 mai, le ministre de l’économie a dû, pour la seconde fois en quelques mois, réviser à la baisse les prévisions de croissance pour 2012, les ramenant à 3,4% au lieu de 4,2%. Il a ainsi donné raison au patron de Bank Al-Maghrib qui avait avancé cette estimation-là, il y a plusieurs semaines, ce qui lui avait valu d’essuyer de vives critiques de la part du ministre délégué (PJD) auprès du ministre de l’économie. Quand la réalité vous rattrape, pas d’autre choix que de faire profil bas. Et puis, il y a eu le coup de massue de ce samedi 2 juin. Même pour ceux qui ne consomment que de l’eau, ce fut la gueule de bois au réveil : 2 DH de plus pour le litre d’essence et 1 DH pour celui du diesel. Jamais la hausse du prix du carburant n’avait été aussi vertigineuse.
La première option envisagée pour renflouer la caisse de l’Etat aurait été de vendre la moitié des réserves d’or du pays. Mais le wali de Bank Al-Maghrib -encore lui- y ayant opposé son veto, c’est dans la réforme de la Caisse de compensation que le gouvernement a entrepris d’aller chercher les milliards manquants. Et, là, boom, un et deux dirhams de plus d’un coup pour le carburant. Si personne ne remet en question la nécessité d’une meilleure gestion de la Caisse de compensation, la brutalité de la hausse et son timing ont surpris. Celle-ci, en effet, est intervenue alors que le prix du pétrole, qui caracolait à 120 dollars, est descendu pour la première fois en huit mois sous la barre des 100 dollars (98 dollars). Cette hausse, le Marocain moyen va la ressentir douloureusement dans son porte-monnaie, et pas seulement quand il passe à la pompe. Ce sont en effet tous les produits de consommation qui vont en être impactés : les transporteurs et les industriels qui doivent payer 998 DH de plus la tonne de fuel n’allant pas manquer de reporter ce surcoût sur ce qu’ils fabriquent et transportent. Du mécontentement donc, le gouvernement Benkirane va y être confronté de plus en plus.
D’où la nécessité de détourner l’attention du citoyen en allumant des contre-feux à intervalles réguliers sur le terrain du religieux et de la protection des «fondamentaux de la nation». Donc maintenant, c’est feu sur la publicité pour les alcools. Cela ne coûte rien et entretient l’image surtout si une nouvelle polémique se déclenche qui oppose les «bons» musulmans aux mécréants de tous bords. La démarche est pernicieuse et il faut s’attendre à la voir se répéter au fur et à mesure que le contexte économique et social se détériorera. Aux défenseurs des libertés individuelles de se préparer à un combat lors duquel il faudra faire preuve de beaucoup d’intelligence tactique pour contrer un adversaire prompt à faire feu de tout bois pour imposer sa loi.
