Idées
L’arbitrage SMIG-emploi
Aujourd’hui, le SMIG connaît une seconde jeunesse ailleurs. Il revient en grà¢ce, sous des formes multiples, auprès des gouvernements libéraux ou sociaux-démocrates : le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la Hollande l’ont réinstauré

Le relèvement du Salaire minimum n’est pas souhaitable, a recommandé la CGEM. Il aurait des effets économiques et sociaux pervers. L’organisation patronale justifie cette position par quatre arguments. Le premier est classique : renchérir le coût du travail peu qualifié pourrait aggraver le taux de chômage que subissent les personnes ayant une faible qualification. Le second est que le salaire des travailleurs qualifiés et des cadres est scotché au SMIG. Le relèvement de son niveau entraîne dans son sillage une hausse des salaires des autres catégories de travailleurs. Autrement, on remettrait en cause les écarts de salaires liés à la reconnaissance d’un savoir-faire acquis grâce à l’expérience ou à la formation. L’autre raison qui n’agirait pas en faveur d’un coup de pouce au SMIG, tiendrait à l’effet négatif de l’augmentation du coût relatif des emplois sur la compétitivité de nos produits dans un marché mondial ouvert. Enfin, la régulation des salaires devrait être une décision sanctionnant un accord salarial entre partenaires. Or, en se substituant aux acteurs directs, l’Etat prive la relation partenariale de toute effectivité et n’incite pas à la négociation.
Le salaire minimum a-t-il un effet sur l’emploi et la compétitivité ? Cette question a fait l’objet de vives controverses au Maroc et à l’étranger. Ces controverses sont nourries par un grand nombre de recherches théoriques. Elles stipulent que le chômage existant, le niveau de pauvreté incite à ce que le salaire minimum ne s’écarte pas d’un point d’équilibre qui permettrait au marché du travail de résorber l’excédent de main-d’œuvre disponible. Si le raisonnement paraît cohérent en théorie, il est pourtant vicié. Il suppose que toutes les entreprises rémunèrent leurs salariés non qualifiés au SMIG. Il accorde peu d’intérêt au rapport du salaire minimum au coût de la vie et au besoin de couverture des besoins essentiels. Il considère qu’il y a une parfaite élasticité niveau de salaire – embauche. Il ne tient pas compte des effets indirects de l’abolition du SMIG (motivation, qualité). Les résultats des études empiriques effectuées sur ce thème diffèrent sensiblement en raison des difficultés rencontrées pour mesurer avec précision ce qui, dans les variations d’emplois, provient des hausses (ou baisses) de salaires et ce qui relève d’autres facteurs. Dans l’ensemble cependant, ces études mettent en évidence que l’effet du coût du travail sur le nombre d’emplois n’est pas très élevé. Dans le cas du Maroc, l’effet n’est pas attesté.
Il y a donc un monde entre les affirmations claironnantes des approches libérales et la prudence des observateurs de terrain. A vrai dire, ce n’est pas très étonnant. Trois raisons, en effet, jouent pour rendre l’emploi dans son ensemble assez peu sensible au niveau des salaires. La première est que le salaire n’est pas qu’un coût, c’est aussi un revenu. Et, à ce titre, comprimer la masse salariale peut se révéler nocif pour l’ensemble de l’économie, même si c’est bénéfique pour les entreprises qui la pratiquent. L’effet sur la demande peut annuler, et au-delà, l’effet sur l’offre. Certes, individuellement, les employeurs ne prennent pas forcément en compte ce «choc en retour» : ils sont sensibles uniquement aux conséquences attendues sur leur entreprise. Mais les entreprises devraient également être sensibles à leurs débouchés : si les employeurs constatent que ces derniers tendent à se rétracter, ils cessent ou ralentissent les embauches prévues. Cependant, il faut bien reconnaître que cette objection perd de sa pertinence en raison de la mondialisation: un pays qui comprimerait les salaires de ses personnels aurait peut-être plus à gagner en compétitivité internationale qu’il ne perdrait en demande intérieure. Toutefois, la compétitivité se réduit de moins en moins à sa seule dimension «coût de production» : la qualité, l’implication de la main-d’œuvre jouent de plus en plus dans le résultat final.
La deuxième raison du faible impact sur l’emploi d’une éventuelle baisse du coût salarial tient à la relation entre salaire et productivité. Les expériences internationales ne conduisent pas à considérer que le SMIG est un obstacle à la compétitivité. Le coût de la main- d’œuvre influe, toutes choses étant égales par ailleurs, sur la compétitivité des entreprises. Mais, dans la réalité, cet effet est loin d’être aussi univoque qu’on pourrait le penser a priori. La productivité constitue un élément tout aussi déterminant, puisqu’elle contribue avec les coûts de main-d’œuvre à la formation du coût salarial unitaire. Les gains de productivité peuvent servir à rémunérer la hausse des salaires, à accroître les marges et favoriser l’investissement futur. Ils peuvent aussi être employés à limiter les augmentations de prix. Ainsi, dans la réalité sociale, bien souvent, c’est la productivité qui est fonction du salaire et non l’inverse. Les entreprises n’ont donc pas intérêt à fixer les salaires au niveau où l’existence d’un chômage devrait conduire. En clair, une telle attitude risque d’entraîner démotivation, coulage, comportements opportunistes.
Aujourd’hui, le SMIG connaît une seconde jeunesse ailleurs. Il revient en grâce, sous des formes multiples, auprès des gouvernements libéraux ou sociaux-démocrates : le Royaume-Uni, les Etats-Unis, la Hollande l’ont réinstauré. Il est difficile de concevoir qu’il est devenu ringard à une période où les pays avancés se le réapproprient. Certes, ses règles de fixation, d’indexation et de négociation peuvent être le produit de la concertation des partenaires sociaux mais l’efficacité et la stabilité de la relation salariale a besoin de règles pour la bonne exécution du contrat de travail et la garantie d’une protection des salariés les plus vulnérables sur le marché du travail.
