Idées
La politesse de l’à¢me
Une froideur dans le regard, une absence de sourire et le train de la communication reste à quai ou, pire, il déraille. On ne dira jamais assez le précieux sésame qu’est le sourire.
Le sourire s’adresse à cette offrande qu’est la vie et dont seuls les êtres qui en ont payé le prix le plus fort mesurent la valeur véritable.

En mémoire, ces images. Vieilles de plusieurs années, elles avaient fortement frappé mon esprit au point d’y rester gravées à ce jour. C’était celles d’une vieille Japonaise, survivante de la bombe d’Hiroshima, répondant à une interview sur le sujet. Au journaliste qui la questionnait, cette femme racontait avec des mots simples son vécu de l’ignominie qui, en quelques secondes, avait effacé de la carte une ville et ses habitants. Au-delà de l’horreur des faits en eux-mêmes, ce qui avait été proprement bouleversant dans son témoignage fut la manière dont il avait été délivré. En effet, pendant tout le temps que cette femme parlait, elle souriait. Et de ce sourire, à aucun moment, son visage ne s’est départi. Plus les mots prononcés étaient terribles et plus il s’accentuait, conférant un caractère surréaliste au propos. Il y avait une telle grandeur dans la posture, un tel stoïcisme que, là où des larmes ou une expression de tristesse auraient simplement ému, ce sourire qui se manifestait jusque dans le regard empêchait toute pitié de naître mais éveillait à contrario un sentiment intense de respect. Ce même respect dont ce sourire se voulait porteur à l’égard de celui qui écoutait. En effet, ce qu’il faut savoir, c’est que dans cette culture japonaise, codifiée à l’extrême, le sourire relève des règles de bienséance qui régissent les rapports en société.
Pourquoi avoir extirpé d’un coin perdu de la mémoire cet exemple insolite et extrême? La raison, avouable, est le désir de parler d’un sujet qui peut paraître futile au regard du lot d’événements dramatiques que draine l’actualité quotidienne. Futile en apparence seulement, car ce qui se rapporte aux relations humaines n’est que rarement anodin. Ce sujet donc, c’est justement le sourire et, avec lui, ces petits gestes par lesquels on exprime à l’autre que l’on fait cas de lui.
Enfonçons des portes ouvertes pour redire combien l’être humain et, par ricochet, les relations humaines dans leur ensemble, sont marqués par le sceau de la complexité. Chacun d’entre nous représente à lui seul tout un univers avec ses zones d’ombre et de lumière, ses méandres, ses creux et ses saillies. On a beau croire connaître l’autre ou, même, croire se connaître soi-même, ce n’est jamais que la tête de l’iceberg qui émerge à la surface du saisissable. D’où les difficultés récurrentes auxquelles l’on se trouve confronté du simple fait de vivre ensemble, difficultés qui ont conduit les hommes à inventer des règles pour régir cette vie en société sans laquelle leur humanité serait restée inaboutie. Le propos ici n’est pas de revenir sur celles que le droit positif ou les traditions nous imposent de respecter mais sur celles, non obligatoires mais non moins importantes, qui renvoient à la manière d’être dans son rapport à autrui. Parmi celles-ci, le sourire, cette fenêtre entrouverte sur l’âme par laquelle les cœurs se parlent. Il est bon parfois de prêter attention au sens des expressions communes. Ainsi un visage qui a propension à sourire est-il généralement qualifié d’ «ouvert».Un sourire, un sourire vrai «qui vient du cœur» est en effet comme un pont que l’on jette sur l’autre rive. Sur la rive de l’autre. A contrario, un visage «fermé» est celui qui ne laisse entrevoir aucune lumière intérieure. Or, dans les relations humaines, il suffit parfois de si peu pour qu’il y ait échange. Une froideur dans le regard, une absence de sourire et le train de la communication reste à quai. Ou, pire, il déraille. On ne dira jamais assez le précieux sésame qu’est le sourire. D’abord au niveau de soi. Quand, au matin, on dessine un sourire sur ses lèvres, c’est à la vie que l’on s’adresse. A cette offrande qu’elle est et dont, souvent, seuls les êtres qui en ont payé le prix le plus fort mesurent la valeur véritable. Telle cette vieille Japonaise.
Un sourire, juste un sourire, il n’en faut pas plus pour dispenser un peu de lumière autour de soi. Cela ne coûte rien et cela peut faire tant de bien. Avoir autour de soi des êtres qui vous sourient, c’est tout de suite un air qui se fait plus léger. Entrouvrons chaque matin la fenêtre. Si ce n’est pour l’autre, pour soi. Et pour la Vie.
Par politesse de l’âme
