Idées
La marge de manÅ“uvre budgétaire
Schématiquement, deux logiques fortes s’opposent au cours de l’élaboration d’un budget: celle des ministres «dépensiers» qui tentent d’obtenir le maximum de crédits, et celle du ministère des finances pour qui, tout naturellement, un dirham de plus est nécessairement un mauvais dirham. Si la logique du budget est «raboteuse», les projets à forte valeur ajoutée politique s’imposent sans trop de difficultés.

Cette année, le projet de Loi de finances est élaboré sous de fortes contraintes : ralentissement de la croissance, incertitudes sur les recettes fiscales, risque d’élargissement du déficit budgétaire, etc.Tout semble converger vers un resserrement de la marge de manœuvre. Disons-le tout de suite, au-delà des spécificités de la conjoncture de cette année, les marges de manœuvre budgétaire sont structurellement faibles. La donne de la crise ne fait que les contracter davantage. Les contraintes qui pèsent tant du côté des dépenses que des recettes sont de trois ordres : mécanique, économique et administratif. Avant même qu’un gouvernement commence à esquisser le prochain Budget, plus de 80% des dépenses sont en effet déjà fixées. Le poids des dépenses de fonctionnement des différents ministères est considérable. Plus des deux-tiers du budget de l’Education nationale sont par exemple absorbés par les frais de personnel. Côté dépenses d’investissement, la logique des «coups partis» induit également une forte inertie dans la structure des dépenses. Nombreuses sont en effet les décisions dont les implications financières courent sur plusieurs années. Par exemple, les dépenses d’équipement des travaux publics ou les dépenses militaires sont planifiées dans un cadre pluriannuel. Il existe par ailleurs des effets reports dus au décalage entre le calendrier d’application d’une mesure et le calendrier budgétaire. Résultat : à niveau de Budget constant, l’effet de reconduction mécanique des dépenses est tel qu’il réduit la capacité d’un gouvernement à diminuer substantiellement le budget d’un ministère pour donner davantage à un autre, jugé plus prioritaire. Les marges de manœuvre sont encore plus réduites en période de ralentissement de la croissance. Une partie des dépenses et des recettes est en effet dépendante de l’activité économique. Quand les écarts entre les prévisions macro-économiques et la réalité sont importants, les pertes de recettes devraient être enregistrées. Le manque à gagner n’est pas toujours bien apprécié. Aux effets du ralentissement économique vient donc aujourd’hui s’ajouter le coût du financement des précédents déficits budgétaires. Certes, avec un niveau de taux d’intérêt à la baisse, la charge de la dette publique se réduit. Mais elle continue, tout de même, de représenter une part non négligeable du PIB. Un relèvement des taux d’intérêt dans une conjoncture tendue augmenterait les frais financiers et réduirait considérablement les marges de manœuvre du gouvernement. En dépit de la baisse des taux d’intérêt enregistrée au cours des derniers mois, la charge de la dette va continuer à progresser et absorber quelque milliards de dépenses supplémentaires.
En pratique, face aux aléas de la conjoncture, les gouvernements sont amenés à rectifier le tir en cours d’année. En période de récession, tous laissent un peu filer le déficit, à la fois parce qu’il est toujours difficile de couper dans les dépenses et pour soutenir l’activité. Mais dans le même temps, pour éviter d’aller trop loin, des réallocations, des reports et autres gels de crédits sont fréquemment réalisés en cours de route. En bout de course, il y a souvent loin du projet de Loi de finances à l’exécution du Budget. Il est vrai que dès la première mouture du Budget, les prévisions sont loin d’être maîtrisées. Pour des raisons d’affichage politique, les marges de manœuvre ne sont par ailleurs pas toujours lisibles dans le projet de Loi de finances… Le projet de budget d’équipement de quelques ministères, éducation et santé par exemple, ne reflète que très imparfaitement ce qui sera effectivement dépensé. Et cet écart n’est pas le fruit d’erreurs de prévisions. Certains marchés ne sont pas gérés avec l’efficacité souhaitée.
Derrière la rigidité de la procédure budgétaire enfin, les hommes parviennent tout de même à imprimer des choix. Schématiquement, deux logiques fortes s’opposent au cours de l’élaboration d’un Budget: celle des ministres «dépensiers» qui tentent d’obtenir le maximum de crédits, et celle du ministère des finances pour qui, tout naturellement, un dirham de plus est nécessairement un mauvais dirham. Si la logique du Budget est «raboteuse», les projets à forte valeur ajoutée politique s’imposent sans trop de difficultés. Les budgets les plus politiques, comme cette année celui du ministère de l’éducation nationale ou de la défense, sont d’ailleurs négociés directement entre les ministres et départements concernés et le ministre des finances. Et en cas de désaccord, les arbitrages vont au Premier ministre. Tout le monde s’accorde néanmoins sur un point : si les marges de manœuvre sont étroites, la mécanique de la procédure budgétaire ne conduit pas nécessairement à une allocation optimale des ressources publiques. La régulation budgétaire effectuée en cours d’année se fait fréquemment aux dépens de certaines dépenses d’équipement et gêne une gestion cohérente des projets. La mécanique budgétaire n’est pas encore parvenue à donner au Cadre de dépenses à moyen terme sa capacité de rendre cohérente une stratégie d’ensemble des dépenses publiques.
