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Idées

La face cachée de la crise

Si la crise a fait couler beaucoup d’encre, on a très peu parlé de sa source, qui n’est pas d’origine financière, mais surtout juridique. Les textes de loi ne sont plus adaptés au fonctionnement de la finance, qui, pour assurer la sécurité des financements, ignore toute frontière géopolitique ou réglementaire afin de diffuser le risque pour mieux en absorber le choc.

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Si la crise des subprimes n’en finit pas d’alimenter les chroniques, rares sont, en revanche, les auteurs qui insistent sur la source de nature juridique de cette crise. Certes, celle que nous vivons depuis un an frappe en premier lieu la finance. Mais la source de cette crise n’est pas de nature financière, mais de nature informationnelle, juridique et comptable. Pour s’en tenir à la cause juridique, on relèvera l’obsolescence de la réglementation des métiers financiers et, en particulier, de l’activité consistant à transférer et à gérer les risques financiers.

Une tribune publiée par The Wall Street Journal avait, peu après le déclenchement de la crise des subprimes, dont nous vivons encore aujourd’hui les conséquences, clairement exposé l’un des facteurs déclencheurs de ce séisme frappant les marchés financiers : le transfert par les banques de leurs risques de crédit à des opérateurs non bancaires, tenant lieu d’investisseurs, au moyen d’instruments opaques(*)

A cet égard, il est remarquable d’observer que, dans certains pays, dont la France, les pouvoirs publics qui, aujourd’hui, fustigent ces structures de transfert et de gestion de risques parce qu’elles échappent à toute contrainte réglementaire, en furent hier les maîtres-d’œuvre, par le biais d’établissements financiers parapublics ! Ce qui jette une lumière crue sur une problématique d’une dimension politique : celle de la pertinence de la réglementation actuelle du secteur financier à l’aune de la manière dont la finance se pratique.

En effet, force est de constater que les trois grands métiers financiers que sont la banque, l’assurance et les services d’investissement se sont, au cours des dernières années, rapprochés autour du concept de la «marchéisation» du risque, au point d’ignorer toute frontière géopolitique ou sectorielle. En 2002, les banques américaines ont transféré massivement leurs risques de crédit à des investisseurs européens et, parmi ces derniers, des compagnies d’assurances incapables de mesurer et de gérer ces risques. Or, sur le terrain juridique, on observe que ces trois métiers financiers sont cloisonnés par la loi en trois monopoles d’exercice distincts.

En outre, la finance s’affranchit des catégories juridiques. Ainsi, alors que, traditionnellement, les titres de créance ont pour objet de financer l’entreprise qui les émet, ils sont, depuis quelques années, également utilisés pour permettre aux émetteurs de se couvrir contre un risque (tel est le cas du Credit linked notes ou CLN).

Enfin, les conditions de commercialisation de produits financiers de plus en plus sophistiqués, traditionnellement réservés aux institutionnels, se sont, dans de nombreux pays, assouplies au point d’assimiler dans certains cas l’épargnant particulier à un investisseur dit qualifié. A cet égard, en France, le décret du 16 mai 2006 est remarquable.

Que faire alors pour que le risque que se reproduise une crise financière de l’amplitude de celle que nous connaissons soit limité ? Sans doute, la réglementation financière devrait-elle être réformée en tenant compte des deux éléments de réflexion suivants.

Un premier pas consisterait à créer une autorité unique réglementant et contrôlant assureurs, banques, prestataires de services d’investissement et fonds d’investissement, dès lors qu’ils se livrent à l’activité de gestion et de transfert de risques. Notons que nos amis anglais, avec la Financial services authority (FSA), et belges, avec la Commission bancaire financière et des assurances (CBFA), ont exprimé une vision plus audacieuse que celle de la France, par exemple, qui s’est limitée, avec la loi du 1er août 2003, à créer un comité purement consultatif.

Ensuite, il conviendrait de s’intéresser à l’opacité des instruments par lesquels les opérateurs transfèrent leurs risques de crédit, opacité qui résulte de l’absence de qualification légale de certains instruments et du phénomène de window dressing ou habillage juridique. L’absence de qualification concerne tous les instruments financiers. A titre d’illustration, la loi française, née des directives européennes, se contente de lister une série d’instruments dont il est dit qu’ils sont des instruments financiers à terme, sans que cette qualification procède de critères objectifs d’application générale et pérenne.

Par exemple, un swap, dont il est communément admis qu’il est un instrument financier à terme, doit-il conserver cette qualification lorsqu’il présente un caractère indemnitaire ?
L’habillage juridique consiste, comme l’ont relevé la FSA et la Commission bancaire, à «habiller», par exemple, un produit d’assurance en instrument financier. Cette pratique a également fait l’objet de vigoureux échanges entre l’Association fédérale des régulateurs d’assurance américains (NAIC) et l’Association internationale regroupant les professionnels des produits dérivés (ISDA), au sujet des dérivés climatiques.

Cet habillage juridique répond à des préoccupations qui ne sont pas toujours avouées. Premièrement, comme l’a observé la Commission européenne, les professionnels du risque procèdent à des « arbitrages réglementaires » en localisant géographiquement et en structurant leurs contrats de telle sorte qu’ils échappent le plus possible aux contraintes réglementaires. Deuxièmement, il est plus facile de « vendre du risque » à des investisseurs, en particulier à des OPCVM, par le biais d’instruments financiers, surtout si ces derniers sont présentés comme étant des titres obligataires, qu’au moyen de contrats d’assurance.

En définitive, il serait utile de mettre en exergue l’exacte explication de cette crise : une architecture légale et réglementaire obsolète ne reflétant pas l’organisation et le fonctionnement du monde de la finance, ce dernier ignorant toute frontière géopolitique ou réglementaire et s’attachant à atteindre un objectif économiquement sain : diffuser le risque pour mieux en absorber le choc et, par là-même, accroître la sécurité des financements.