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Idées

La décadence compétitive

Les crises de l’UE et l’Otan suite au vote de l’Irlande contre le traité de Lisbonne et à  la détérioration de la sécurité en Afghanistan, bien que différentes, sont des crises identitaires.

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Il est tentant de comparer l’Otan et l’Union européenne aux équipes de football de France et d’Italie lors de l’Euro 2008. Elles sont unies, par-dessus tout, par un phénomène de «décadence compétitive». L’UE et l’Otan peuvent se considérer comme des rivales potentielles ou des partenaires complémentaires dans le domaine de la défense, mais ce que leurs dirigeants disent en privé révèle un sentiment de frustration commun.

«Nous échouons à traduire notre présence militaire en influence politique», admet un représentant de l’Otan. On croirait entendre des représentants de l’UE commentant le rôle de l’Union au Moyen-Orient. «Nous avons échoué à transformer l’aide économique en influence politique», se plaignent-ils.

Les crises qu’affrontent les deux institutions suite au vote de l’Irlande contre le traité de Lisbonne et à la détérioration de la sécurité en Afghanistan sont, naturellement, bien différentes. Au final pourtant, il s’agit de deux crises identitaires. A la fois l’Otan et l’UE ont été obligées de redéfinir leur mode de fonctionnement et de repenser leur objet après un double processus d’élargissement.

De ce point de vue, le défi auquel l’Otan est confrontée est peut-être encore plus difficile, car élargir l’organisation de sécurité signifie non seulement accueillir de nouveaux membres, mais également exercer de nouvelles responsabilités «hors zone».

Passer de l’Atlantique Nord à l’Afghanistan et de la dissuasion au combat s’avère un défi majeur pour l’Otan – un test qui peut s’avérer plus difficile que celui de la disparition de l’Union soviétique, il y a presque 20 ans.

L’Otan pourrait-elle survivre à une défaite en Afghanistan ? Cette question est loin d’être rhétorique. Le défi posé par l’Afghanistan a été sous-estimé dès le départ, et l’Alliance n’y a pas consacré suffisamment de ressources. Le défaut d’un objectif clair – le but de l’opération est-il de vaincre Al-Qaïda ou d’établir la démocratie ? – reste problématique, mais moins à court terme que le manque de ressources appropriées.

En effet, alors que la taille de l’Afghanistan est comparable à celle de la France, l’Otan y a envoyé le même nombre de soldats que dans la minuscule Bosnie. La guerre en Irak n’a pas seulement provoqué une perte de cohérence de l’Otan en Afghanistan ; elle a aussi sapé la solidarité d’objectif entre les alliés. Et, faute de faire face plus sérieusement au rôle d’«asile» tenu contre son gré par le Pakistan, il n’y a aucune solution envisageable pour l’Otan en Afghanistan.

L’autre grand problème auquel l’Otan est confrontée est lié à la perte de la position de supériorité morale des Etats-Unis. Dans l’imaginaire artistique des Européens, l’Amérique est désormais davantage associée à la servitude qu’à la liberté. Dans la dernière version du Fidelio de Beethoven donnée à l’Opéra de Berlin, les prisonniers semblent sortir de Guantánamo.

Mais le bourbier afghan et l’image de l’Amérique ne sont pas les seuls problèmes auxquels l’Otan doit faire face. Elle doit aussi redéfinir son objet, et tout particulièrement sa relation avec une Russie renaissante. L’objectif de l’Otan ne peut pas se contenter d’être, pour utiliser la fameuse formule de Lord Ismay : «Inclure l’Amérique, exclure la Russie et contenir l’Allemagne».

En perdant sa cohérence géographique, l’Otan est aujourd’hui confrontée à une crise identitaire majeure. Va t-elle se transformer en «ligue de la démocratie» ? Si c’est le cas, elle doit envisager d’entretenir une relation toute particulière avec des pays comme l’Inde et le Japon, pour n’en citer que quelques-uns.

Si elle doit demeurer une «alliance occidentale» dans un monde «globalisé», doit-elle alors définir une relation bien plus claire avec la Russie et priver le Kremlin d’un droit de veto dans l’Alliance ? Ou l’Otan finira-t-elle par devenir une «alliance pour la stabilité» incluant toutes les nouvelles puissances – la Chine, l’Inde et le Brésil, sans parler de la Russie – du «monde multipolaire» en train d’émerger ? Une chose est sûre : tant qu’il gardera une certaine influence, l’Occident même en voie de «rétrécissement», doit créer les meilleures institutions possibles pour le temps qu’il lui reste.

Dans son essence, le dilemme fondamental de l’UE n’est pas si différent de celui de l’Otan. L’Union a connu un succès tel qu’elle a admis de nouveaux membres et pris de nouvelles responsabilités, mais elle a perdu en cohérence et en clarté dans ses objectifs.

Quel est le projet de l’Europe aujourd’hui ? Où l’UE finit-elle ? Son rêve de devenir «les Etats-Unis d’Europe» a vécu, et la suggestion de Jacques Delors de «Nations Unies d’Europe» est restée trop ambivalente, voire délibérément ambiguë, pour être efficace.

Après le «non» irlandais, l’Union peut-elle trouver le salut dans une «coalition des volontaires» imaginée par l’Otan ? Les Européens pro-intégration les plus déterminés pourront-ils quitter la meute sans être paralysés par la coalition des réticents ?

Il est évident que le «non» irlandais n’est pas l’équivalent pour l’UE du bourbier afghan de l’Otan. Il n’en constitue pas moins un revers important et un défi de nature institutionnelle, politique et même psychologique. Comment recréer un «fil conducteur» européen capable de réconcilier l’Union et ses citoyens ? L’UE a échoué récemment, bien davantage que l’Otan, non seulement à gagner les cœurs mais aussi à convaincre les Européens que, dans un monde globalisé, elle fait partie de la solution et non pas du problème.