Idées
La belle qualité
L’humour certifié ce n’est pas
pour demain alors que le rire conforme, ou forcé, se ramasse
à la pelle dans plein d’espaces dits
de création et de culture.
«Elle a les yeux couleur de mes chimères», disait le poète à propos de la poésie. En extrapolant un peu, tout en présentant des excuses au poète, on pourrait appliquer ce vers à une notion qui a le vent en poupe ces derniers temps dans le monde de l’entreprise. Il s’agit de la qualité et de ce fameux et non moins prosaïque ISO. Pour le néophyte et néanmoins curieux attiré par le noble vocable «qualité», les choses se compliquent lorsque, au sigle ISO, s’ajoute un numéro, par exemple : 9000. Là, on est encore plus loin de la poésie car il s’agit, dit-on, d’une série de normes internationales développées par des experts du monde entier et utilisée par des entreprises qui veulent mettre en place un système international de qualité.
Au Maroc, cette notion de qualité fait son petit bonhomme de chemin et il n’est pas rare de rencontrer des articles et des publicités qui y font référence. On parle même de la sixième édition du Prix de la qualité qui sera placée, cette année, sous le signe de l’innovation. D’où des placards de pub sur tel ou tel produit confirmé et certifié, par exemple ISO 9001. Le consommateur n’entrave que dalle dans la numérotation, mais les experts, eux, savent de quoi il retourne. Qu’est-ce qu’on deviendrait sans eux ? Et c’est ainsi que l’on peut bouffer telle ou telle charcuterie certifiée, au label de laquelle on décline une autre authentification sous le vocable de «halal». On a beau être à la page, on ne mélange pas moins la cochonnaille et la volaille. Il faut préciser à ce sujet que le nouvel arrivé dans le fast-food américain à base de volaille fait même plus fort puisqu’il indique que le poulet est marocain et halal. Voilà qui va, non seulement, faire vibrer notre fibre patriotique mais aussi caresser – dans le sens du poil ? – nos traditions cultuelles, lesquelles consistent à zigouiller les gallinacés selon nos propres rites (dans la mesure où il existe une manière propre d’occire ces bestioles mais, là, il n’y a que les poulets qui puissent en témoigner). Sans compter que cela donne une image plus équilibrée de l’accord de libre-échange qui sera signé avec les Américains. Avouez que les pubs sur cette notion de qualité sont fortiches, même si elles manquent de poésie et surtout d’humour. On vous fera grâce de quelques-unes d’entre elles, afin de préserver, justement, la qualité des relations du chroniqueur avec ses amis et lecteurs.
A propos de pub et d’humour, il paraît qu’en France les annonceurs ont désormais recours au rire pour contrecarrer le mouvement antipub qui fait beaucoup parler de lui depuis quelque temps. Et même la communication institutionnelle, notamment financière, qui n’a pas la réputation de faire dans la pub qui dilate la rate, s’y met maintenant. Cette approche novatrice basée sur l’humour est une trouvaille qui a fait dire à un des créatifs d’une grande agence de pub française que «l’humour, c’est un moyen universel de parler aux gens, une forme de politesse. Il est plus facile de faire passer un message quand on fait au minimum sourire». Ils ont mis du temps, ces fils de pub, avant de comprendre qu’en dernière analyse, il vaut mieux en rire. Sauf que là aussi il faut mettre un ISO avec des numéros pour que ça passe bien. D’accord, l’humour certifié ce n’est pas pour demain alors que le rire conforme, ou forcé, se ramasse à la pelle dans plein d’espaces dits de création et de culture. Revenons à la qualité pour une conclusion un peu longue – car le mal est profond – de Robert Musil dont le roman, L’homme sans qualité est tout à fait indiqué : «Il s’est constitué un monde de qualités sans hommes d’expériences, d’expériences vécues sans personnes pour les vivre. On en viendrait presque à penser que l’homme, dans le cas idéal, finira par ne plus disposer d’une expérience privée et que le doux fardeau de la responsabilité personnelle se dissoudra dans l’algèbre des significations possibles.»
Ouais ! d’accord, la citation est trop philosophique et, en plus, elle n’est même pas rigolote. Mais elle permet de gamberger sur la notion de qualité et de responsabilité et, si on n’a rien pigé, on peut toujours aller se faire un ISO chez les philosophes grecs
