SUIVEZ-NOUS

Idées

La Belle du mois dormant

Allez, puisqu’on est dans la fiction, on pourrait imaginer l’écriture
du scénario d’un feuilleton en 30 épisodes pour Ramadan autour
de Yahia Al Fakharani, avec Angelina Jolie dans un second rôle,
comme deuxième épouse de cet acteur replet.

Publié le


Mis à jour le

rub 5191

Le protectionnisme en matière de commerce est une pratique connue depuis longtemps par nombre de pays et dont les Etats-Unis sont incontestablement les champions. Il est un sujet de débat constant dans les relations économiques internationales et fait l’objet d’âpres discussions au sein de l’OMC. Il est parfois étendu, comme aux Etats-Unis, à des secteurs qui, ailleurs, sont considérés comme des biens moraux et artistiques. C’est le cas du cinéma, de la musique et d’autres industries culturelles.

On se souvient de la fameuse «exception culturelle» brandie par la France qui a tant fait rire l’Amérique de Reagan dans les années 80 et fait long feu. La culture est un business comme les autres et souvent bien plus rentable que le reste. Peut-être parce que la culture, c’est ce qui reste lorsqu’on a tout consommé, pour paraphraser la fameuse citation devenue dicton anonyme. En effet, le produit culturel (films, chansons et autres), au-delà de sa valeur immatérielle faite d’émotion et de rêve, continue de se «valoriser» et de «signifier» (comme dirait l’autre sémioticien), en tant que produit dérivé : tee-shirts, casquettes, affiches, sonnerie de téléphone et autres bibelots. Déclinée en maints produits qui sont autant de signes et de prolongements, l’œuvre culturelle, notamment cinématographique, s’inscrit dans la durée du temps économique comme une rémanence qui crée de la valeur.

Après cette petite incursion, en forme d’incipit, dans le monde grave de l’économie et du commerce, signalons, pour le rire et pour le meilleur, une nouvelle forme de protectionnisme qui nous vient tout droit d’Egypte. On vient d’apprendre, en effet, par un communiqué du Syndicat des comédiens de ce pays, repris par la MAP, qu’il a été «décidé de limiter l’octroi des autorisations de travail accordées aux artistes arabes non égyptiens à un seul permis par an».

On précise par ailleurs, et c’est là que le syndicat fait fort en matière de protectionnisme corporatiste, que «ces comédiens doivent être des stars dans leur pays». Le communiqué donne comme arguments à cette décision la nécessité de lutter contre «le phénomène des nouveaux visages». Il faut entendre par là l’arrivée sur scène d’acteurs, et surtout d’actrices, du monde arabe, notamment du Liban, qui dament le pion aux vedettes du bord du Nil, dont une partie affiche un hijab et une autre est soit atteinte par la limite d’âge, soit se refuse à montrer un bout d’épaule.

Il faut préciser que ce n’est pas le cinéma qui pâtit le plus de ce «phénomène des nouveaux visages». La fiction télévisuelle et ses fameux moussalssal (feuilletons) sont de plus en plus tributaires des diffuseurs (plus de 400 chaînes arabes sur le satellite) qui exigent de nouveaux visages du monde arabe et parfois même ceux de leurs pays, ce qui est on ne peut plus légitime. De plus, une rude concurrence est livrée par la fiction télévisuelle syrienne qui vise davantage à fédérer, au sein du public du monde arabe, en optant pour des thèmes et des épopées historiques et en incluant des acteurs non syriens pour placer ses produits chez les «pays frères».

Nous autres, au Maroc, sommes concernés au premier chef par cette percée syrienne par les sujets proches (Andalousie, Tarek Ibn Ziyad) et où, malheureusement, notre pays est réduit à des décors et nos acteurs à des comparses dans des récits relevant de notre propre histoire. Mais ça, comme dirait Kipling, c’est une autre histoire.

Mais revenons à nos protectionnistes du bord du Nil pour nous étonner que le communiqué ne parle que des artistes arabes non égyptiens. On sent là une prudence calculée car comment voulez-vous refuser à Brad Pitt ou à Tom Cruise de donner la réplique, dans un second rôle bien sûr, à Leila El Oulouie, Yousra ou même à une de ces comédiennes en hijab dans un moussalssal préacheté en exclusivité pour le monde arabe par MBC ? Allez, puisqu’on est dans la fiction, on pourrait imaginer l’écriture du scénario d’un feuilleton en 30 épisodes pour Ramadan autour de Yahia Al Fafkharani avec Angelina Jolie dans un second rôle, comme deuxième épouse de cet acteur replet. Pendant toute la durée du moussalssal, elle refusera de porter le foulard et finira par mettre les voiles. Le titre ? Pour Ramadan c’est tout indiqué : La Belle du mois dormant.

Pour conclure à la décharge du syndicat des comédiens égyptiens, avouons que la Ligue des acteurs à Hollywood est bien plus protectionniste. Sauf qu’elle se protège contre tous les acteurs étrangers et pas seulement de ceux du continent américain. Mais on ne vas pas se lancer dans des comparaisons inutiles, ni enfoncer le clou car toutes les mesures, nouvelles, sommets et palinodies des dirigeants politiques – qui viennent jusqu’à nous au Maghreb à partir de ce monde dit arabe – sont anxiogènes et inconséquents.