Idées
Kafala : à quel siècle vit-on ?
La vraie préoccupation des islamistes, et ils ne s’en cachent pas, concerne le « risque » encouru par les enfants pris en kafala de ne pas rester musulmans. « On doit protéger nos enfants du changement de religion qui peut se produire quand les ‘kafils’ sont d’une autre religion que l’islam », déclare ainsi le député Mostapha Brahimi, membre de la commission secteurs sociaux du PJD.

Au début de ce mois de juin, les députés du PJD ont déposé un projet de loi pour encadrer de manière encore plus étroite l’octroi de la kafala aux non-résidents au Maroc. Après la circulaire Ramid qui a bloqué des dizaines d’adoptions en cours et suscité la consternation dans les rangs des associations œuvrant en faveur des enfants abandonnés, voilà maintenant que le parti au pouvoir veut aller plus loin en inscrivant dans la loi des critères qui rendent quasi-impossible pour qui ne vit pas au Maroc de prétendre à la kafala. Ainsi le projet de loi pose-t-il comme première condition, outre le fait d’être musulman, que l’un des conjoints soit marocain. Exit donc les étrangers. Le second critère porte sur une obligation de résidence au Maroc d’une durée de cinq ans. Les MRE, quant à eux, et malgré toutes les promesses qui leur ont été faites au moment de la sortie de la circulaire affirmant qu’ils n’étaient pas concernés par ce tour de vis, se voient infliger une pénitence de deux ans avant que l’enfant qu’ils voudraient prendre en kafala ne soit autorisé à les suivre dans leur pays de résidence. Les auteurs de cet avant-projet de loi évoquent la difficulté à contrôler les conditions de vie de l’enfant que l’on emmène à l’étranger. Mais, outre que cette argumentation ne résiste pas à l’analyse – des moyens peuvent être mis en place pour effectuer les contrôles nécessaires et, par ailleurs, qu’en est-il de ceux effectués pour l’enfant adopté qui reste vivre au Maroc ? -, la vraie préoccupation des islamistes, et ils ne s’en cachent pas, concerne le «risque» encouru par les enfants pris en kafala de ne pas rester musulmans. «On doit protéger nos enfants du changement de religion qui peut se produire quand les “kafils” sont d’une autre religion que l’islam», déclare ainsi le député Mostapha Brahimi, membre de la commission secteurs sociaux du PJD.
Face à ce projet de loi, on peut légitimement se poser la question suivante : ces honorables élus du peuple si soucieux de «protéger nos enfants» ont-ils jamais mis les pieds dans un orphelinat ? Ont-ils jamais plongé leur regard dans celui d’un de ces petits que la société, en ostracisant leur mère biologique, a marqué au fer rouge pour la vie ? Se sont-ils jamais approchés de ces bébés dont aucune maman ne calme les terreurs nocturnes ? Se sont-ils jamais confrontés à la tristesse déchirante de ces garçonnets arrivés à l’âge de quatre, cinq ou six ans sans avoir trouvé de famille d’adoption et qui, chaque nuit, continuent de dormir entre les murs glacés d’un orphelinat ? Si l’on veut être indulgent, on peut se dire en effet que ces députés n’ont jamais vu ni approcher l’un ou l’autre de ces pupilles de la nation, auquel cas «ils ne savent pas» car «s’ils savaient», jamais ils n’auraient eu le cœur d’introduire pareil texte. Pareil projet qui, s’il venait à passer, réduirait encore plus les chances pour ces enfants de prétendre à une vie normale auprès de parents d’adoption. Mais, ne nous leurrons pas, l’explication n’est pas à chercher du côté de l’ignorance. Elle est beaucoup plus en rapport avec la perception de l’enfant abandonné en tant que «ould lehram», une perception qui prévaut toujours au sein de la société, notamment chez ceux qui se veulent meilleurs musulmans que les autres. Parce qu’ils sont nés hors mariage, ces enfants sont, selon la conception traditionnelle, porteurs de «la faute» commise par leur mère. Du coup, pour ceux qui ne pensent et ne sentent qu’à travers le prisme du religieux, parce que «oulad lehram», ces enfants devraient déjà s’estimer heureux d’être pris en charge par des institutions de bienfaisance. Pour ces esprits obtus, ce serait déjà faire preuve de charité musulmane que de ne pas les laisser mourir dans la rue. Il n’est pas exagéré de se dire que c’est ainsi, de façon consciente ou inconsciente, que les auteurs du projet de loi en question appréhendent ces enfants. Oh, la sincérité de leur volonté de les «protéger» ne saurait être remise en cause ! En effet, pour eux si, en plus d’être le fruit du «péché», on laissait courir à ces enfants le risque de ne plus être musulmans, c’est les condamner à coup sûr à brûler en enfer. Alors pour leur éviter cela, réduire leurs chances de trouver une famille même si c’est les condamner à vivre leur vie durant au purgatoire ne peut être qu’un moindre mal ! Une logique imparable mais qui fait juste se demander dans quel siècle on vit !
