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Idées

Il prête le tricycle non assuré à  son fils et le pire arriva

le tribunal ne condamnera pas le père pour défaut d’assurance, lui allouant même un dédommagement pour frais de funérailles ; il partagera la responsabilité de l’accident entre les deux conducteurs afin d’ouvrir une voie aux indemnisations.

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Fadel boucetta 2011 04 25

Ahmed et Lahcen sont deux frères, très proches l’un de l’au-tre, et qui ont bien des points en commun, dont celui de ne pas lire La Vie éco…, ce qui les empêchera de savoir que leur histoire a eu un écho médiatique !
Ahmed tient un commerce d’alimentation et son frère utilise son tricycle pour livrer des marchandises. Tout allait pour le mieux et la vie s’écoulait paisiblement. Un détail rapprochait encore plus les deux frères : ils avaient chacun des enfants et leurs fils aînés, cousins germains de 19 et 20 ans, se fréquentaient assidûment, partageant les mêmes goûts, ayant les mêmes amis…
Et puis soudain, le drame! En octobre 2010, Lahcen prête son tricycle à son fils, lequel bien évidemment invite son cousin à aller faire un tour. Les deux compères sont insouciants, ne portent pas de casques et, inconscients, négligent totalement les dispositions du code de la route. Soudain, le moteur hoquette, signe avant-coureur d’une panne d’essence imminente. Le conducteur du tricycle s’affole, avise une station d’essence non loin, et bifurque illico sur sa gauche pour la rejoindre, empruntant ainsi un sens interdit ! Il ne pourra éviter la voiture qui arrive en face, et le choc fut violent : le jeune conducteur du tricycle y laissera la vie, et son cousin  passager est sérieusement blessé.
Voici les deux familles éplorées, mais très vite la polémique va s’installer : il faut faire des déclarations aux assurances, soigner le survivant, entamer des procédures judiciaires, obtenir un P.V de police…, autant de tracasseries nouvelles pour les deux frères, dont l’amitié s’est considérablement refroidie.
Ahmed a plusieurs griefs à reprocher à Lahcen : d’abord avoir prêté l’engin aux enfants sans l’en avertir, ensuite de n’avoir pas prévu deux casques et enfin d’avoir entraîné son fils dans cette histoire. Lahcen, lui, ne supporte aucune remarque : son chagrin est trop fort.
Puis on en arrive au tribunal pour qui les choses, les faits, les drames ne comptent pas : seule la terminologie juridique y est reine. Les faits sont alors requalifiés en blessures involontaires ayant causé la mort sans intention de la donner ; Lahcen est poursuivi en tant que responsable civil (propriétaire du tricycle), et défaut d’assurances…, car il s’est avéré que l’engin n’était pas assuré au moment des faits.
Le jour de l’audience, tout le monde est présent : le conducteur de la voiture à qui on reproche un défaut de maîtrise, ainsi que Lahcen, tous deux à la barre des prévenus. A côté d’eux se tient Ahmed, en tant que partie civile, venant défendre les intérêts de son fils blessé.
Inconscient ou insensible à l’aspect familial du dossier, le procureur en rajoute, expliquant dans son réquisitoire n’avoir poursuivi le conducteur de la voiture que par habitude, convaincu que le véritable, l’unique responsable du drame, est bien le jeune homme conduisant le tricycle qui a délibérément emprunté un sens interdit sans même s’assurer au préalable que la voie était libre. Et de stigmatiser dans la foulée ces parents irresponsables n’inculquant à leur progéniture aucune éducation civique. Il enfonce le clou en constatant avec regret que c’est ce même père qui a prêté son tricycle à un jeune inexpérimenté dans la conduite, en n’ignorant pas que l’assurance faisait défaut.
Il réclame donc l’application de la loi dans toute sa vigueur, à savoir la condamnation de l’automobiliste à une amende, celle du père de la victime pour défaut d’assurance à une amende également, et demande que l’entière responsabilité de l’accident soit imputée au jeune décédé.
Le magistrat ne le suivra pas dans ses réquisitions, car il a bien pris la mesure de ce dossier et en connaît les soubassements. A la douleur d’une famille déjà éprouvée, inutile d’ajouter d’autres tourments.
Afin d’atténuer les souffrances de parents anéantis, il ne condamnera pas le père pour défaut d’assurance, lui allouant même un dédommagement pour frais de funérailles ; il partagera la responsabilité de l’accident entre les deux conducteurs afin d’ouvrir une voie aux indemnisations -après tout, ce sont les assurances qui paient, et elles sont prévues pour ça. Enfin, le père du blessé sera remboursé de tous les frais médicaux occasionnés par l’état de son fils, ajoutant même une rondelette somme à titre de dommages et intérêts.
Justice a été rendue dans d’excellentes conditions. Quant au drame familial, il mettra du temps à cicatriser.