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Idées

Identité perdue et retrouvée

Si, dans la plupart des pays arabes, panarabistes ou non, les unions des écrivains étaient adossées aux régimes et partis uniques en place, au Maroc, l’UEM était non seulement indépendante du pouvoir mais affiliée à  l’opposition.

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Ceux qui ont suivi l’évolution de l’Union des écrivains du Maroc (UEM) depuis quelques années ne peuvent que s’étonner à propos du débat autour de l’identité culturelle marocaine qui a prévalu lors du dernier congrès de cette union. On a parlé de la pluralité et de la diversité des composantes culturelles marocaines : amazighité, romanité, judéité, arabité et islam, bien entendu, mais aussi de l’apport européen via la civilisation andalouse et la colonisation française et espagnole. Bref, une identité plurielle et ouverte sur l’universel.
C’est inédit dans les annales de l’association car, de mémoire de journaliste accompagnant les activités de l’UEM, on n’a jamais, publiquement en tout cas, ouvert cette coquille identitaire pour en parler librement. On peut s’en féliciter mais aussi s’étonner qu’un tel débat ait tant tardé chez nos intellectuels. Il faut dire que l’on revient de loin. Cette association a traversé, en un peu plus de quarante ans, des périodes marquées par des postures idéologiques figées et porté des discours culturels non moins gravés dans l’acier monolithique identitaire. L’influence d’une idéologie arabiste, aux relents résolument baathistes – qui sévissait un peu partout au sein des cercles intellectuels et littéraires dans le monde arabe -, a été d’autant plus profonde qu’elle s’est compliquée en croisant le discours de l’opposition au pouvoir. Les méfaits, la violence et l’incurie des autorités de l’époque n’ont fait que justifier et consolider les positions tranchées de nombre d’intellectuels ou passant pour tels au sein de l’UEM. Si l’on ajoute les interférences des deux grands partis politiques de l’opposition, Istiqlal et USFP, qui se disputaient la présidence de l’union, on imagine la complexité de la véritable identité de l’UEM. Mais, paradoxalement, si dans la plupart des pays arabes, panarabistes ou non, les unions des écrivains étaient adossées aux régimes et partis uniques en place, l’UEM étaient indépendante du pouvoir et affiliée à l’opposition.
Cependant, son discours est resté marqué par une idéologie par trop nationalo-arabiste et exclusive. On savait que les écrivains marocains, ou non marocains, de langue française, n’avaient pas leur place au sein de l’union. Certes, rien ne l’interdisait dans les statuts, mais le discours dominant, la teneur des causeries culturelles et différentes activités organisées par l’union étaient dissuasives à plus d’un titre. Il n’était d’écrivain marocain qu’arabophone. Même un écrivaillon de seconde zone, dont les œuvres complètes se résument à quelques élucubrations vaguement journalistiques, avait la préférence par rapport à un auteur reconnu et célébré, et, précisément, parce que reconnu, édité et célébré ailleurs et notamment en France. Ni Adelkébir Khatibi, ni Abdellatif Laâbi, et encore moins Tahar Ben Jelloun, pour ne citer que les plus anciens et les plus médiatisés, n’ont été accueillis par l’union. Bien sûr, à l’époque, on prétextait le fait et la faute de ces derniers, qui n’avaient jamais exprimé l’envie de faire partie de l’association. Mais la vérité est que l’union ne donnait guerre de gages d’ouverture, ni idéologiquement, ni culturellement, ni surtout linguistiquement.
Que reste-t-il aujourd’hui de tout cela, à l’heure où l’union n’intéresse plus les partis d’opposition – et pour cause : il n’y a plus d’opposition – et que le discours idéologique aux accents baathistes est battu en brèche partout dans le monde arabe ? On serait tenté de répondre : pas grand-chose et cela serait dommage car c’est bien aujourd’hui, après le débat au congrès sur la pluralité culturelle et l’identité marocaine composite, que l’existence et la consolidation d’une telle association culturelle sont nécessaires. Mais l’UEM ne pourrait pas faire l’économie d’une mise à jour culturelle et d’une mise au jour identitaire, afin d’évacuer les zones d’ombre et se mettre en cohérence avec son discours actuel et le monde, ainsi que le Maroc d’aujourd’hui. Mais d’abord et avant toute chose, sur l’identité même et la définition de l’écrivain. On ne naît pas écrivain, comme disait Simone de Beauvoir à propos des femmes, on le devient. De plus, un écrivain est homme ou la femme qui publie des livres qui sont reconnus comme tels. Ce n’est ni un pigiste désargenté qui sévit dans un journal confidentiel, ni un intermittent de l’écriture fantasmée qui s’autoproclame futur Nobel de littérature. Commençons d’abord par identifier le sujet, à savoir l’écrivain, avant de faire de l’identité un sujet de débat. Le reste c’est de la littérature, et c’est justement cette dernière qui devrait préoccuper une union des écrivains qui a l’ambition de fédérer les gens de lettres.