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Hypocrisies

En 1990, l’Organisation mondiale de la santé considérait encore l’homosexualité comme une maladie. L’Europe est ainsi passée,
en l’espace de 20 ans, de la criminalisation de l’homosexualité
à  la pénalisation de l’homophobie.

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Par un curieux hasard, juste à la veille des élections communales, un PV de  police, à Marrakech, s’est retrouvé entre les mains d’une certaine presse. Y étaient consignés les aveux d’un prostitué qui affirmait avoir eu des rapports sexuels avec une personnalité politique. Depuis, l’affaire fait scandale d’autant que l’information a été ensuite reprise par l’ensemble des supports nationaux. Contraint de s’exprimer sur le sujet, l’intéressé dénie tout fondement à ces allégations. Présentant l’histoire comme un coup monté de ses adversaires, il clame haut et fort son «innocence». Non seulement la sienne mais, étonnamment,  celle aussi de sa femme et de ses enfants comme si «le crime» dont il était accusé s’imputait à toute la famille. Au-delà du dégoût ressenti devant le recours à des méthodes aussi indignes pour abattre un adversaire politique, il y a lieu ici de s’arrêter sur la notion d’«innocence» mise en avant par cette personne pour sa défense. Or, s’il y a scandale, il n’est pas dans le fait que celle-ci ait eu ou non des relations sexuelles avec quelqu’un du même sexe qu’elle : il est dans ce que la préférence sexuelle d’un individu puisse relever du crime. Ironie du calendrier, cette affaire a éclaté à quelques jours de la journée internationale contre l’homophobie (17 mai).
Le Maroc, comme l’ensemble du monde musulman, fait partie des pays, principalement situés en Afrique et en Asie, où l’homosexualité tombe sous le coup de la loi. On se souvient de cet autre scandale de Ksar El Kébir qui défraya la chronique il y a quelques mois. Dans ce cas-là, les personnes incriminées relevant du commun des mortels, la justice resta sourde à leurs dénégations et distribua généreusement les condamnations. Plus récemment encore, cette problématique a été remise sur le tapis quand une association d’homosexuels marocains en Espagne voulut poser la question de sa dépénalisation au Maroc. La fin de recevoir des autorités fut sèche et immédiate. Pourtant, s’il est un domaine où l’hypocrisie sociale est absolue, c’est bien celui-ci. Au Maroc, comme ailleurs, l’homosexualité existe et a toujours existé. A côté de celle qui relève d’une personnalité de base, il en est une autre, conjoncturelle, qui est le fruit des interdits. La non-mixité et la proscription des relations sexuelles hors mariage favorisent les rapports homosexuels même chez des personnes hétérosexuelles. Au Maroc, certaines villes sont réputées pour leur «tradition» homosexuelle, tant féminine que masculine. C’est un secret de Polichinelle dont on parle à mots couverts. A mots franchement découverts aussi ! Selon qu’il s’agisse de femmes ou d’hommes, le langage se fera poétique ou franchement trivial mais il rend compte d’un même fait: l’homosexualité est et a toujours été une composante de la réalité sociale marocaine, et, musulmane d’une manière générale. Les poètes l’ont chanté avec verve et l’histoire musulmane regorge d’amours homosexuels. D’où – peut-être – venu le temps de mettre fin à cette hypocrisie et de laisser les gens vivre leurs amours homo ou hétéro en paix (tant qu’il s’agit, bien entendu, d’adultes consentants) !
Plus de 60 nations à travers le monde ont eu cette sagesse au cours des deux dernières décennies. En 2008, dans une déclaration présentée par la France et les Pays-Bas en marge de l’Assemblée des Nations Unies, ils franchissaient un pas supplémentaire en lançant un appel à la dépénalisation universelle de l’homosexualité. Rejoints par les USA, ils demandaient que «l’orientation sexuelle et l’identité du genre» ne puissent jamais constituer le fondement d’une sanction. Pourtant, il y a peu de temps encore, l’homosexualité y faisait l’objet du même tabou que chez nous. A voir Paris géré par un maire homosexuel et dont l’orientation sexuelle est officiellement reconnue, on pourrait croire que la société française a toujours accepté l’homosexualité. Or, jusqu’en 1981, date de sa dépénalisation, celle-ci était réprimée juridiquement et socialement. En 1990, l’Organisation mondiale de la santé considérait encore l’homosexualité comme une maladie. L’Europe est ainsi passée, en l’espace de 20 ans, de la criminalisation de l’homosexualité à la pénalisation de l’homophobie.
Vendredi 1er mai, Carol Ann Duffy a été intronisée comme poète officiel du Royaume-Uni  (Poet Laureate) des dix prochaines années après que la Reine Elisabeth en ait décidé ainsi. Depuis 341 ans que ce titre existe -il a été créé en 1668 par le Roi Charles Ier -, c’est la première fois qu’il est attribué à une femme. Et cette femme est une lesbienne. Au royaume de sa Gracieuse Majesté, la tradition ne craint pas l’évolution.