Idées
Histoire de verre d’eau

Que l’on fasse partie ou non des chanceux qui, les doigts de pieds en éventail, répondent à l’insolence du soleil, par une sophistication poussée de l’alanguissement, l’air des vacances imprègne l’atmosphère. Le tintamarre du monde demeure toujours aussi assourdissant mais l’oreille s’offre le luxe de se laisser aller à la distraction sans sentiment exagéré de culpabilité. Multipliant les filtres, elle navigue sur l’écume des faits, s’autorisant une certaine légèreté d’autant que la période, dévolue au farniente, s’y prête. Elle ne s’amuse à retenir que ce qui, sans risquer de provoquer des vagues ou des perturbations profondes, étonne, distrait ou interpelle. Se composant des petits bouquets fleuris à partir d’éléments éclectiques, elle continue à titiller un esprit que l’engourdissement aurait tendance, sous la chaleur pesante de ces longues journées d’été, à dangereusement guetter. Sans essayer de se référer à une quelconque logique, pour la bonne raison qu’il n’y en a pas, ces arrêts sur image effectués au gré du pur vagabondage estival.
Le premier est relatif à une histoire d’eau rapportée au début de l’été par un confrère dans une de ses chroniques radiophoniques hebdomadaires. De quoi s’agit-il ? Voilà. Ces temps derniers, un grand débat agite les bistrots de France et de Navarre: leur faut-il ou non passer à la facturation du verre d’eau aux clients. Entendez, non l’eau minérale, déjà comptabilisée au prix fort mais l’eau du robinet. De tradition, celle-ci est servie gracieusement à la carafe ou au verre. Mais des voix de cafetiers s’élèvent aujourd’hui pour remettre en question cet us car il y aurait abus en la matière et aucune raison selon eux de continuer avec des largesses de cet ordre. On imagine l’argumentaire développé : «Voyez-vous, mon bon monsieur, ça s’attable autour d’un café, ça réclame des verres d’eau et ça ne décolle plus de tout l’après-midi. Comprenez qu’on ne peut plus accepter cela ! D’autant que cette eau, on ne nous la donne pas gratuitement à nous autres !».
Pourquoi cette querelle franco-française de haute teneur existentialiste retient-elle l’attention ? Pour la bonne raison qu’en ces temps de mondialisation, chacun sait que ce qui se passe ailleurs finit invariablement par s’exporter chez soi. La loi de l’époque veut que tout se vende et que tout s’achète. De prime abord, cette histoire autour d’un verre d’eau prête à rire. Pourtant, pour peu que l’on se donne la peine d’y réfléchir, c’est de désolation et d’inquiétude qu’elle remplit. Le geste du verre d’eau que l’on offre est très fort sur le plan symbolique. Or c’est à cette symbolique de la main tendue à autrui que la logique du profit, poussée à ses extrêmes, touche à travers cette ridicule histoire. Et comme l’on voit nos villes et leurs façades se farder d’enseignes et d’affiches à la gloire du consumérisme le plus effréné, on ne peut que craindre d’être victime un jour, à notre tour, d’une déplorable contamination.
Heureusement et cela est le propre de notre espèce, l’humanité sécrète en permanence la chose et son contraire, ce qui abaisse mais également ce qui élève, ce qui fait perdre espoir mais également ce qui le revigore. Parmi ceci, ces grands hommes qui traversent l’histoire et nous portent d’une rive à l’autre de la civilisation. Bien qu’il se soit plutôt distingué par la fabrication de monstres qui ont noyé le monde sous le sang des innocents, le XXe siècle nous a néanmoins fait cadeau d’un de ces phares dont la lumière éclaire le brouillard : Nelson Mandela. Au cours du mois dernier, celui que ses concitoyens appellent affectueusement Madiba fêtait ses 85 ans. A cette occasion, l’Afrique du Sud, pour le remercier d’être ce qu’il est, lui a organisé des festivités sans précédent. Voilà en effet un homme qui, malgré 27 ans de souffrances dans l’ombre noire du cachot, ne s’est pas laissé emporté par la haine et l’esprit de vengeance. Malgré cinq ans à la tête d’un Etat, a résisté à la perversion du pouvoir et a su lui tirer sa révérence. Malgré un divorce et un cancer de la prostate, a conservé le flamboyant sourire de l’éternel optimiste. Sur le site web créé pour la circonstance, une pluie de messages s’est abattue. De la plume d’anonymes, on a pu lire des mots tels que : «Un Mandela sur chaque continent changerait le monde à jamais», «Vous êtes l’un des plus beaux cadeaux que Dieu ait faits à l’humanité» et surtout «Merci de nous avoir rendus fiers d’être sud-africains».
Adviendra-t-il un jour où nous aussi pourrons écrire de tels mots de reconnaissance à l’un des nôtres !
En attendant, profitons de ce que l’on nous offre encore des verres d’eau et bonne vacances à tous.
