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Idées

Femmes : du pouvoir d’influence au pouvoir d’action

La dérive, par laquelle le féminisme occidental pécha parfois par le passé, sut être évitée par les féministes marocaines qui eurent toujours l’intelligence d’inscrire la revendication de droits égaux pour les deux sexes dans celle, plus globale, du projet démocratique.

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Ce n’est pas qu’elles ne voulaient pas d’eux. Au contraire, ils étaient absolument les bienvenus. Mais voilà, des hommes qui s’intéressent aux femmes ? Non sous l’angle de la séduction mais de celui du questionnement et du débat, il n’en court pas les rues. Ils ne constituaient guère plus de 10% des participant(e)s à la deuxième édition de Women’s Tribune tenue à Essaouira le week-end dernier. Quelques maris charmants accompagnant leurs épouses et puis les fidèles parmi les fidèles, ces compagnons de route à la militance chevillée dans l’âme, conscients qu’«il ne saurait y avoir d’hommes libres sans libération de la femme». Toute minoritaire qu’elle ait été, cette présence reflète cependant une constante dans le mouvement des femmes au Maroc, à savoir le refus d’appréhender la lutte pour l’égalité des sexes comme un combat contre les hommes. Cette dérive, par laquelle le féminisme occidental pécha parfois par le passé, sut être évitée par les féministes marocaines qui eurent toujours l’intelligence d’inscrire la revendication de droits égaux pour les deux sexes dans celle, plus globale, du projet démocratique. Dès le départ, Women’s Tribune a institué la mixité en règle de base. Dans ce lieu d’échange et de rencontre, les hommes sont conviés au même titre que les femmes à débattre de l’égalité des chances, des droits et de l’accès à la citoyenneté en Méditerranée. Certes, le prisme est essentiellement celui du féminin, mais, sans féminin, le masculin existerait-il ? Aussi, minoritaire fût-elle, cette présence masculine permit aux rencontres d’Essaouira d’échapper à cet autre enfermement qui est l’entre-soi.

Née en 2009, Women’s Tribune approche la question de l’égalité des sexes en ciblant un objectif précis: travailler sur la visibilité des femmes leaders du Sud. Constatant leur très faible représentativité dans les instances internationales, Fathia Bennis a monté Women’s Tribune au Maroc pour renforcer le leadership féminin africain et méditerranéen. Comment? En faisant se croiser les expériences et en créant des liens entre les divers collectifs et réseaux de femmes. Alors à cette deuxième édition, comme à la première, à côté des Marocaines, elles étaient algériennes, tunisiennes, sénégalaises, nigériennes, angolaises…, toute une humanité féminine déterminée dans ses engagements et flamboyante dans ses actions. Or il était justement question du passage «du pouvoir d’influence au pouvoir d’action», la thématique choisie par WT pour sa seconde édition. D’où l’intérêt de croiser la parole (plutôt que le fer) avec celui – l’homme- à qui ce pouvoir-là fut si longtemps réservé en exclusivité. Jusqu’à l’émergence du féminisme qui vient de souffler sa centième bougie, le pouvoir des femmes ne s’exerçait pas frontalement. Pendant des siècles, les femmes sont restées derrière la scène. La loi patriarcale leur imposait d’évoluer dans la seule sphère du privé. Cela ne signifiait pas qu’elles en étaient pour autant dépourvues de pouvoir. Les femmes ont développé des capacités formidables de contournement, des stratégies de ruses qui leur permettent d’arriver à leurs fins tout en laissant à l’homme l’illusion qu’il est le maître. Plus l’enfermement est grand et plus leur intelligence en la matière s’aiguise. Quel plus bel exemple que celui de Shahrazade qui, par la seule force de son verbe, sauve sa tête et celles des autres femmes de son peuple ? Reste que l’homme était, jusqu’il y a peu, l’unique détenteur des clés de la cité. Et de celle de la maison où les femmes étaient retenues prisonnières, les murs de leur cellule fussent-ils tapissés de soie ! Aujourd’hui, après des décennies de lutte, partout à travers le monde, les femmes quittent les coulisses. S’octroient le pouvoir d’agir. Seul celui-là en effet permet de prendre en main sa destinée. De faire ses choix et d’œuvrer à leur réalisation. D’être ce que l’on veut être et non ce que l’homme veut que l’on soit. Les femmes sont à présent à bousculer l’autre sexe dans toutes les sphères du pouvoir, sans exception.

Parfois même, chaussant des bottes de sept lieux, elles accèdent aux fonctions suprêmes, devenant Le Pouvoir. Alors, comme les hommes, elles sont exposées à l’enivrement de celui-ci. A sa perversion. Leur capacité de résistance est-elle plus forte que celle de l’autre sexe ? Les femmes politiques présentes à Essaouira n’ont pas répondu à l’interrogation, usant pour cela de tout l’art du contournement légué par leurs aïeules.