Idées
En être là , aujourd’hui encore !
Au lendemain de l’indépendance, on a vu de farouches militants nationalistes qui avaient combattu corps et à¢me pour la libération nationale mettre leurs enfants à la Mission française. A l’école donc de l’ancien colon. Quand on pointait du doigt leur anachronisme, ils expliquaient que l’école marocaine balbutiant encore, ils avaient dû se résoudre à cette solution. Car rien, pas même la sacro-sainte identité nationale, n’est plus important que d’assurer une bonne instruction à ses enfants.

Quand Hajiba part le matin à l’école, son dos ploie sous le poids du cartable. Quand elle rentre le soir à la maison, la somme de devoirs à faire pour le lendemain fait se courber ce même dos sous l’effort. Hajiba a cinq ans.
Khadija, la maman de Hajiba, démarre sa journée à 5 heures du matin pour être à son travail à 7 heures.
Le soir, elle n’atteint son domicile qu’à la nuit tombante après une heure trente passée dans les transports. Khadija est femme de ménage. Elle touche 2 000 dh par mois. C’est son salaire qui fait vivre la famille, son mari vendant des cigarettes au détail dans la rue. Or, le quart de cet argent fond dans les frais de scolarité de Hajiba. Ne croyant pas à l’école publique, Khadija a mis sa fille dans le privé, se privant de tout dans l’espoir que Hajiba réussisse plus tard ses études. Mais voilà, payer une école privée ne suffit pas.
Submergée de devoirs, la petite a besoin d’aide. Aussi, sa mère se voit-elle dans l’obligation de lui rajouter, trois fois par semaine, des cours de rattrapage. Le samedi, au lieu de faire la grasse matinée, Hajiba fait des heures sup’. A cinq ans ! Et Khadija de s’échiner un peu plus à la tâche.
Amina, la patronne de Khadija, est un cadre supérieur. Elle se positionne par rapport à son employée à l’autre bout de l’échelle sociale.
Mais les deux femmes sont toutes deux tenaillées par le même souci d’assurer la meilleure scolarité possible à leur enfant. Le fils d’Amina a trois ans. Le temps de la crèche tire à sa fin. Les choses sérieuses, à savoir l’entrée à l’école primaire, vont commencer.
Pour Amina se pose désormais la question torturante de savoir où le mettre l’année prochaine. Le qualificatif «torturante» peut paraître excessif. Il ne l’est pas. C’est effectivement à une vraie torture que les parents marocains se trouvent confrontés lorsque sonne l’heure d’inscrire leur enfant dans une structure scolaire. Un mauvais démarrage et c’est tout le futur de celui-ci qui s’en voit oblitéré. Mais comment faire le bon choix sans vraies possibilités de choix ?
Plus d’un demi-siècle après l’Indépendance, on en est encore là ! Là, à nous demander où scolariser nos enfants en l’absence d’un enseignement public de qualité. Un enseignement dont même une maman analphabète et appartenant à la couche sociale la plus populaire se détourne. On en est encore là à devoir faire des courbettes à droite et à gauche -tout en casquant un max !- pour que notre enfant reçoive une instruction d’un bon niveau. Au lendemain de l’Indépendance, on a vu de farouches militants nationalistes qui avaient combattu corps et âme pour la libération nationale mettre leurs enfants à la Mission française. A l’école donc de l’ancien colon. Quand on pointait du doigt leur anachronisme, ils expliquaient que l’école marocaine balbutiant encore, ils avaient dû se résoudre à cette solution. Car rien, pas même la sacro-sainte identité nationale, n’est plus important que d’assurer une bonne instruction à ses enfants. On en est encore là aujourd’hui, plus d’un demi-siècle plus tard. Et ce n’est pas normal.
Plus que cela : c’est tout simplement dramatique. L’école publique, c’est la «cata» dans tous les sens du terme. Quant au privé, à part de très rares exceptions, sur le plan pédagogie, c’est bonnet blanc et blanc bonnet. La pauvre Khadija se saigne à blanc pour faire étudier sa fille dans une école payante. Or, que penser d’un enseignement où une gamine de cinq ans rentre tous les jours avec une tonne de devoirs à faire ? Bourrer le crâne à un enfant, rien à dire, on sait faire cela à la perfection. Quant à lui apprendre à réfléchir, à penser par lui-même, à faire preuve d’esprit d’initiative et à développer l’agilité mentale nécessaire pour appréhender un monde de plus en plus complexe, c’est une autre affaire.
Pour les plus riches, capables d’aligner 100 000 DH par an et, surtout, à même de pouvoir prendre en charge par la suite des études universitaires se chiffrant en dizaines de milliers de dollars, le problème ne se pose pas. L’école américaine ouvre ses portes à qui peut s’acquitter des droits -exorbitants- d’inscription. Par contre, pour ceux qui se situent dans la classe intermédiaire, l’angoisse est là qui tiraille à longueur de temps. Que faire ? Que choisir ? Se mettre à l’espagnol pour viser l’école espagnole ? A l’italien pour accéder à la Mission italienne. La Mission française ? Autant viser la NASA !
Nos parents se sont battus pour nous permettre de vivre libres et indépendants. Et nous en sommes encore là à tournoyer autour des institutions étrangères pour qu’elles daignent bien instruire nos enfants. C’est à en pleurer. Il n’y a rien à dire de plus.
