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Idées

Emergence à  la recherche d’une convergence

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rub 16258

Avec les assises organisées par le ministère du commerce et de l’industrie, la politique industrielle est de nouveau sous les feux de la rampe. La prise de conscience de la nécessité d’une véritable politique industrielle est aujourd’hui réelle, ainsi que l’atteste le Pacte Emergence. Elle doit toutefois être suivie, évaluée périodiquement pour en ajuster le contenu, adapter les mesures, rectifier les outils. Autrement, le Pacte connaîtra le cheminement de la stratégie des «grappes industrielles» qui l’a précédée : se perdre dans les méandres de l’administration, faute de volontarisme politique. La sortie publique du ministre Ahmed Chami affirme justement avec force la nécessité de rompre avec une approche cloisonnée et étriquée de l’action industrielle. Dans un paysage où l’on a tendance à user et abuser de la langue de bois, dans un environnement où l’évaluation -même quand elle est auto-conduite- n’a pas encore acquis un droit de cité, les propos tenus par le ministre de l’industrie tranchent par leur fraicheur et leur perspicacité. Une position courageuse pour deux raisons, d’abord parce qu’il est fondamental que le thème de la politique industrielle soit constamment présent dans le débat politique, les choix industriels sont aussi des choix de destin. Une volonté industrielle marquerait la capacité d’un Etat à l’anticipation, la mutualisation, l’action et l’expertise. La deuxième raison est pédagogique : si le chantier «Emergence» n’est pas partagé, approprié par les rouages de l’Etat, le risque est grand qu’il reste inachevé. 

La globalisation des échanges qui a rendu plus fragile le lien entre l’entreprise et son territoire souligne aujourd’hui la nécessité d’une révolution culturelle : nous devons prendre conscience de l’interdépendance des acteurs publics, économiques et sociaux et, par voie de conséquence, l’imbrication étroite des politiques entre elles. La politique industrielle découle des choix de société et du degré d’indépendance que l’on souhaite pour le pays. Pour la mise en œuvre de cette politique, les pouvoirs publics doivent naturellement envisager l’action directe par le biais d’organismes contrôlés par l’Etat (grands programmes, orientation de la recherche), l’action financière (aides, avances, fiscalité…), l’action légale et réglementaire (législation, droit, normes). La commande publique et la coopération entre industriels et pouvoirs publics (mutualisation des expériences, accompagnement dans la conquête de marchés…) doivent également être employées à des fins de soutien au développement économique, notamment pour combler notre déficit de PME-PMI de taille compétitive. La politique industrielle n’existe pas seule : elle est interdépendante d’autres politiques, sectorielles comme la politique de l’agriculture, de l’énergie, des transports, voire de l’artisanat, mais également de politiques transversales comme celles des finances publiques, de la formation, de la recherche. Quelques secteurs industriels sont suivis par d’autres ministères techniques : l’industrie agroalimentaire par le ministère de l’Agriculture et de la pêche; l’industrie de la construction par le ministère de l’équipement et des transports, l’industrie de services de l’eau par le ministère de l’aménagement du territoire; l’industrie pharmaceutique par le ministère des la santé. D’autres administrations interviennent dans le champ industriel, notamment par le biais de normes, d’autorisations ou de certifications. De nombreux outils sont par ailleurs attachés à la politique industrielle: la politique monétaire ou la politique de la concurrence, la politique fiscale. Ainsi, quelle que soit la bonne volonté des ministres de l’industrie, l’organisation administrative est un frein aux coopérations significatives entre les différents départements qui suivent les secteurs concernés, à la mutualisation des analyses, des projets, des financements et de l’action.

Au sein de l’Etat, les tentatives pour instaurer un échange minimal entre départements ministériels ou pour tenter de définir des stratégies n’ont pas abouti. Les contacts entre administrations et entreprises ne sont pas aujourd’hui suffisamment ancrés dans les pratiques et dans les procédures pour contrebalancer ce manque de coordination. On n’invente rien en affirmant que l’environnement administratif demeure beaucoup trop complexe, avec une liste de huit ou dix administrations différentes en contact avec les entreprises qui souvent ne s’entendent pas entre elles, les efforts de simplification suscitent des doutes en la matière. On en parle beaucoup mais les résultats sont décevants sur le terrain. Le sentiment d’un grand nombre d’entrepreneurs est que pour entreprendre dans l’industrie au Maroc, il faut aimer le parcours du combattant et vivre dans l’incertitude. De très nombreux chefs d’entreprises appellent de leurs vœux une lecture moins rigide, plus cohérente et plus qualitative des mesures du Pacte Emergence. Pour tendre vers la convergence des actions d’appui à la politique industrielle, ne serait-il pas souhaitable de rattacher au Premier ministre un Conseil de la compétitivité, qui regrouperait des responsables gouvernementaux et des personnalités qualifiés ? L’objectif de ce comité serait d’actualiser les stratégies et de veiller à la coordination de l’ensemble. Son rôle serait de reconstituer l’expertise publique économique et industrielle, de croiser cette expertise avec l’expertise privée, de travailler à l’anticipation et à la prospective et, enfin, de développer la politique publique d’intelligence économique.