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Idées

Eloge du fait divers

aujourd’hui, à lire certaines informations, on a l’impression que tout le monde fait dans le fait divers de diverses manières. On assiste parfois à une confusion des genres où plusieurs rubriques sont mélangées, le tout dans un anonymat désolant.

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chronique Najib refaif

La responsabilité de la rubrique des faits divers a été, partout et de tout temps, la fonction la plus ingrate du journalisme. Le journaliste, ou le «rubricard» comme on disait, qui en a la charge est donc condamné à endosser cette appellation de la page des «chiens écrasés», qui en dit long sur le mépris dans lequel on tient cette fonction considérée comme bassement subalterne. Certains journalistes, ici et ailleurs, ont pu en sortir ou s’en sortir et ont gravi les échelons pour accéder à d’autres rubriques plus prestigieuses. Mais ils sont rares, car souvent la pratique de ce journalisme colle à jamais une étiquette au rubricard assigné à cette tâche dont, il est vrai, personne ne veut dans la rédaction. Pourtant, il y a eu parfois des journalistes qui en ont fait quasiment un titre de gloire. Ceux-là ont su varier leurs sujets et pu sortir la rubrique des problèmes mineurs de proximité, de la voirie et de la réécriture des communiqués de réunions des conseils municipaux. Certains ont, bien avant la vague écolo, rédigé des articles de qualité sur la propreté et l’environnement ; d’autres ont su glisser prudemment, et avec plus ou moins de réussite, vers des problèmes à caractère sociétal. Certes, peu ont fait une longue carrière dans la profession, sauf ceux qui ont été adoubés par le parti politique propriétaire du journal. Nourrissant d’autres ambitions pour leur carrière, ils se sont transformés dès lors en «éditorialistes et analystes» exerçant dans la prestigieuse «rubrique politique». Tout cela remonte à un autre temps, déjà lointain et bien avant l’arrivée de la presse dite indépendante, puis, plus tard, du journalisme électronique. Aujourd’hui, à lire certaines informations, on a l’impression que tout le monde fait dans le fait divers de diverses manières. On assiste parfois à une confusion des genres où plusieurs rubriques sont mélangées, le tout dans un anonymat désolant. En effet, le rubricard des faits divers d’antan avait au moins un nom, une signature et un «style». Oh, certes, ce n’était pas de la grande littérature journalistique, en revanche, on pouvait reconnaître facilement la «plume» mauvaise langue de l’un ou le mauvais esprit de l’autre.

Restons dans les faits divers de bonne facture littéraire pour signaler un petit opuscule d’une centaine de pages édité dans la collection «Inédit» de «Folio». Il est l’œuvre de l’écrivain et journaliste Didier Daenincks où ce dernier rend justice aux faits divers et à ceux qui les rédigeaient. «Petit éloge des faits divers» est du reste le titre du livre au début duquel l’auteur a placé une épigraphe attribuée à un certain Emile Charbier et qui résume parfaitement son propos : «J’étais destiné à devenir journaliste, et à relever l’entrefilet au niveau de la métaphysique». Avant de devenir l’auteur prolifique d’une vingtaine de romans noirs, Didier Daenincks avait exercé, entre plusieurs petits boulots, le métier de journaliste-localier dans des publications municipales et départementales en France. En charge de la rubrique des faits divers dans laquelle il relatait, à sa manière, les histoires et les vies des gens de peu, ceux-là mêmes qui peuplent les entrefilets relégués dans les pages intérieures. C’est certainement à partir de cette matière journalistique déconsidérée qu’il a pu nourrir quelques-uns de ses romans. Voilà pourquoi l’auteur de ce petit livre précise, dès l’introduction, que «le fait divers est le premier monument érigé à la mémoire des victimes, même si ce n’est qu’un pauvre monument de papier noirci…».

Rendant au fait divers ses lettres de noblesse, Daenincks rappelle que ce genre journalistique tant méprisé a été très souvent à l’origine de chefs-d’œuvre de la littérature universelle. Du «Robinson Crusoé» de Daniel Defoe au «le Rouge et le Noir» de Stendhal et jusqu’au célèbre roman «Madame Bovary», même si Flaubert ne l’a jamais admis. Comme d’ailleurs André Gide qui «niait toute proximité avec la page impure des journaux, écrit Didier Daenincks, et qui ne résiste pas à transposer un fait divers sous le titre de la Séquestrée de Poitier…».

Concluons par un fait divers tout en restant dans les livres et la littérature. Il s’agit d’une information insolite que nous avons déjà publiée et commentée ici même et qui, nous l’espérons, n’a rien perdu ni de sa saveur ni de sa charge humoristique : «Un collectionneur enterré sous ses livres pendant deux jours». Alors qu’il cherchait un livre dans sa bibliothèque, un collectionneur de livres à New-York qui s’était hissé sur un tabouret, bascula et provoqua un éboulement d’ouvrages et de magazines qui vont l’ensevelir deux jours durant. Selon ses voisins, qui finiront par entendre ses cris avant de le délivrer– non sans mal car des piles de bouquins avaient bloqué la porte de son appartement–, le collectionneur avait l’habitude de parler tout seul à ses livres. Voilà pourquoi ils n’ont pas prêté attention à ses appels au secours pendant deux jours. Hospitalisé, le papivore souffrait de déshydratation mais il s’en est tiré sans trop de dommages.

Le collectionneur américain victime de cet éboulement livresque aurait-il apprécié, s’il disposait des œuvres de Gaston Bachelard dans sa collection, cette affirmation du philosophe français où il affirme que «le paradis, à n’en pas douter, n’est qu’une immense bibliothèque» ?