Idées
Dominique Strauss-Kahn : De nouveaux paradigmes politiques pour un nouveau monde
WASHINGTON, D.C. – Au cours du dernier quart de siècle, l’économie mondiale a bénéficié d’une remarquable période de croissance régulière et de faible inflation. Cette période dite de Grande Modération a donné à de nombreux décideurs politiques un sentiment fallacieux de sécurité quant à leurs capacités à gérer l’économie et à affronter une crise financière. Mais aujourd’hui que la Grande Modération s’est transformée en Grande Récession, certains défauts majeurs de la pensée conventionnelle sont apparus au grand jour, notamment à quel point nous comprenons mal les liens entre le système financier et l’économie dans son ensemble ou les liens financiers entre les pays.

Alors que les décideurs politiques envisagent aujourd’hui de nouveaux paradigmes pour gérer l’économie en 2011 et au-delà, une meilleure compréhension de ces liens sera essentielle pour promouvoir la croissance économique et réduire le risque de crise financière. Tout aussi importance est la prise de conscience qu’en travaillant ensemble, nous pouvons bâtir une économie mondiale plus stable et plus prospère, pour le bénéfice de tous les pays.
Je voudrais développer ce que cela signifie pour les trois objectifs de politique économique suivants : bâtir un secteur financier plus sûr et plus efficace, obtenir une croissance plus stable et plus équilibrée, et gérer des flux de capitaux importants et volatiles.
Un système financier plus sûr et plus efficace est le fondement d’une économie prospère. Il faut à cette fin une réglementation stricte, avec un ensemble de règles sensées pour les institutions et les marchés financiers. Et pour s’assurer que chacun respecte ces règles, les institutions financières doivent faire l’objet d’une surveillance intense.
Bien sûr, des crises se produiront toujours, même avec les meilleures règles et surveillance possibles – raison pour laquelle des mécanismes de résolution efficaces sont nécessaires pour les institutions qui rencontrent des difficultés. Et enfin, compte tenu des fortes interactions au sein du secteur financier et de l’économie en général, nous avons besoin d’un cadre global pour gérer les risques inhérents au système financier dans son ensemble.
De grands progrès ont déjà été accomplis en ce qui concerne les réformes du secteur bancaire, avec notamment le récent accord sur le relèvement des fonds propres des institutions financières (Bâle III). Nous sommes pourtant encore loin de disposer des instruments de surveillance nécessaires pour garantir une application sans faille de ces réglementations. Des mécanismes de résolution efficaces et des cadres systémiques font encore plus défaut.
Pour ce qui est de l’économie en général, nous avons appris que pour être saine, la croissance doit être équilibrée. Au niveau national, des instruments sont nécessaires pour éviter que des excès dans un secteur donné ne mettent l’ensemble de l’économie à genoux. Au niveau mondial, une meilleure distribution de la croissance entre tous les pays est nécessaire pour prévenir des déséquilibres déstabilisants.
Quelles sont les implications pour la politique macroéconomique ?
La politique monétaire doit aller au-delà de son objectif central – une inflation faible et stable – et donner plus d’attention à la stabilité financière. Le débat porte aujourd’hui sur la manière dont cet impératif peut être précisément traduit dans la politique monétaire, et sur la manière dont le travail des autorités monétaires et de réglementation peut être coordonné.
En ce qui concerne la politique fiscale, la crise a démontré l’importance du maintien de faibles niveaux de la dette publique et du déficit durant les périodes de prospérité : les pays ayant des finances publiques saines sont plus à même d’amortir l’impact économique d’une crise financière. Mais les dettes et déficits publics de nombreuses économies avancées se sont envolés à cause de la Grande Récession.
À quel moment mettre en œuvre une austérité budgétaire – et établir un juste équilibre entre des impôts plus élevés et des dépenses plus faibles – variera d’un pays à l’autre, selon divers facteurs comme le niveau de la reprise économique, l’inclination des marchés à financer les dettes et les ratios initiaux entre les dépenses et les recettes. Mais l’objectif commun de la politique fiscale doit être de soutenir la création d’emplois et une croissance durable à moyen terme.
La distribution des revenus est une autre question importante. Dans les années précédant la crise, les inégalités se sont creusées dans plusieurs pays, avec des conséquences inquiétantes quant à cohésion sociale. L’augmentation des inégalités peut également avoir donné lieu à une plus grande vulnérabilité face à la crise : avec moins de personnes en mesure de recourir à l’épargne dans les temps difficiles, les répercussions sur la croissance ont été démultipliées.
Au niveau international, il sera essentiel d’avoir une meilleure compréhension de la manière dont des politiques appliquées dans un pays ont des effets sur les économies d’autres pays. Cette approche est au cœur des efforts du G20 pour établir une croissance mondiale plus forte, plus stable et plus équilibrée. Le Fonds monétaire international intensifie également son action dans ce domaine, par le biais des « rapports de débordement » sur la Chine, la zone euro, le Japon, le Royaume uni et les États-Unis.
Obtenir une meilleure évaluation des liens financiers entre les pays est tout aussi crucial. Au cours de la crise, nous avons vu à quelle vitesse se sont effectuées les fuites de capitaux de pays pourtant considérés comme des valeurs sûres Aujourd’hui, plusieurs de ces pays peinent à se remettre d’un véritable tsunami de capitaux.
Les décideurs politiques de plusieurs pays émergents s’inquiètent du fait que ce soudain influx de capitaux provoquera une réévaluation de leur monnaie, déstabilisera les marchés financiers et conduira à une surchauffe économique. Leurs réactions vont de l’accumulation de devises étrangères pour empêcher l’appréciation de leur monnaie, à l’adoption de mesures visant à freiner l’influx de capitaux, en passant, dans certains cas extrêmes, par l’interdiction d’entrée de capitaux. La situation est devenue très tendue, sur fond de « guerre des changes » et d’un risque bien réel de protectionnisme monétaire.
Il est évident que nous devons avoir une meilleure compréhension de ce qui motive les mouvements de capitaux. Nous devons également définir les meilleures moyens politiques pour les réglementer – en tenant compte du fait que ces politiques ont un impact sur l’ensemble de l’économie mondiale. Et nous devons évaluer l’utilité potentielle d’un système de règles mondiales visant à réduire la volatilité des flux de capitaux.
Une assurance financière mondiale est une question annexe importante. De la même manière qu’un ménage couvre son épargne par une assurance, les pays devraient avoir accès à un filet de sécurité financière mondial. Beaucoup de progrès ont été accomplis depuis l’émergence de la crise, grâce à des moyens accrus pour le FMI et de nouveaux instruments de financement. Mais davantage de moyens sont nécessaires et le FMI étudie actuellement la possibilité d’une coopération avec des mécanismes de financement régionaux, ainsi que de nouvelles manières d’utiliser ces instruments en cas de crise systémique.
Pour résumer :
L’un des principaux échecs politiques de la période précédant la crise a tenu à un manque d’imagination. Nous avons échoué à comprendre à quel point les réseaux économiques et financiers mondiaux étaient interconnectés. Faisons en sorte qu’un nouvel échec ne soit pas dû à une absence de coopération. Nous devons surmonter les anciennes lignes de division – à la fois au sein des économies et entre elles – et travailler ensemble pour bâtir une économie mondiale plus forte et plus résistante.
Copyright: Project Syndicate, 2010.
www.project-syndicate.org
Traduit de l’anglais par Julia Gallin
Copyright: Project Syndicate, 2010.
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Traduit de l’anglais par Julia Gallin
