Idées
Des lendemains qui déchantent
Un rassemblement était organisé par le Forum universitaire tunisien après que deux enseignantes aient été agressées du fait d’une tenue jugée « indécente ». La première doit de s’en être sortie grà¢ce à un vendeur ambulant qui l’a secourue alors qu’elle recevait des coups de poing au visage dans un parking. Quant à la seconde, ce sont ses propres étudiants qui l’ont évacuée de l’amphithéà¢tre après que des jeunes barbus s’en sont pris à elle. Motif de l’agression : une jupe estimée trop courte. Les Tunisiennes ont des raisons de s’inquiéter.

Les Tunisiennes sont inquiètes. Elles ont de bonnes raisons de l’être. Lors du scrutin du 23 octobre, la victoire du parti islamiste Ennahda a été écrasante. Avec plus de 40% de voix, les islamistes se sont imposés comme la première force du pays. Incapables de parler d’une seule voix, les modernistes, pourtant en pointe lors de la Révolution de jasmin, ont connu une défaite cuisante. Or, le moment est crucial. L’assemblée sortie des urnes est celle appelée à se prononcer sur la loi suprême du pays, la Constitution. En perspective de cette échéance fondamentale, elles ont donc été plusieurs centaines de femmes à se regrouper sur la place du gouvernement, au centre de Tunis. Cette manifestation s’est organisée par le biais du bouche à oreille, des messages envoyés par SMS et du recours, comme lors de la période révolutionnaire, à Facebook. Que demandent ces femmes ? Des garanties sur leurs droits. A coups de slogans du style «dehors les rétrogrades» et de pancartes réaffirmant que les Tunisiennes sont «des femmes libres», elles ont mis en demeure les politiques et le gouvernement d’œuvrer pour que la Constitution soit garante de leurs droits. Le Premier ministre les a assurées que tous les partis politiques représentés au sein de la nouvelle assemblée étaient d’accord pour ne pas dépasser «la ligne rouge» que constituent les acquis des Tunisiennes en matière de droits personnels. Mais, sur le terrain, la victoire d’Ennahda s’accompagne d’une répétition d’incidents inquiétants. En même temps que la manifestation de la place du gouvernement, une autre avait lieu, toujours à Tunis, à la Cité des sciences. Ce rassemblement -quelque 500 personnes- était organisé par le Forum universitaire tunisien après que deux enseignantes ont été agressées du fait d’une tenue jugée «indécente». La première doit de s’en être sortie grâce à un vendeur ambulant : celui-ci l’a secourue alors qu’elle recevait des coups de poing au visage dans un parking. Quant à la seconde, ce sont ses propres étudiants qui l’ont évacuée de l’amphithéâtre après que des jeunes barbus s’en sont pris à elle. Motif de l’agression : une jupe estimée trop courte. Alors, oui, les Tunisiennes ont des raisons de s’inquiéter. Mais pas seulement elles. Les Maghrébines d’une manière générale.
Dans la Libye voisine, lors de la cérémonie de proclamation de la libération de la Libye, le président du CNT a décrété que la législation du pays sera désormais fondée sur la chariâ. Et d’enchaîner sur le fait que la loi sur le mariage qui, sous Kadhafi, interdisait la polygamie, n’était plus valable en ce qu’elle contrevenait à la chariâ. Au Maroc, le PJD est donné comme vainqueur des prochaines élections. Certes, même si notre futur chef du gouvernement est islamiste, il aura à gouverner dans le cadre des institutions marocaines. Il demeure que, dans le cas d’une victoire du PJD, c’est tout le climat général qui s’en verra impacté. En dehors des politiques dont le pouvoir d’action est balisé, certains dans le champ social vont se sentir plus encore autorisés que jamais à se faire les «commandeurs du Bien contre le Mal». Déjà que la bigoterie sociale va grandissante, là, cela nous promet de beaux jours en perspective ! Amoureux sur les plages publiques et amateurs d’un bon verre, vous n’avez qu’à bien vous tenir !
Mais la démocratie, c’est cela. Et aujourd’hui, dans le monde arabo-musulman, quand le peuple se prononce, c’est à ceux qui lui parlent à coup de sourates que ses voix vont. Pour moult raisons, les modernistes échouent à mobiliser autour de leur projet de société. Est-ce à dire qu’il faille baisser les bras ? Non. Est-ce à dire qu’il faille faire profil bas ? Non, bien au contraire. Plus que jamais, il faut se battre pour les valeurs auxquelles on croit. Mais non plus dans les salons et dans les cercles fermés. Sur le terrain et dans les actions de proximité. C’est par l’exemple, par l’engagement auprès des populations démunies que se défend et se propage un projet de société. Nous devons retrouver langue avec notre société. Et ne pas craindre, quand on l’estime juste et nécessaire, de l’affronter s’il le faut. Les femmes sont, comme de coutume, aux premières loges. Au Maroc, des victoires importantes ont certes été remportées sur le terrain du droit. Mais ces avancées juridiques ne se sont pas accompagnées d’une avancée sociale. Au contraire, sur ce plan-là, la régression menace en permanence. Un nouveau cycle de combat s’ouvre. Aux femmes de la nouvelle génération de le mener. Au Maroc comme dans le Maghreb dans son ensemble. Pour que l’hiver fondamentaliste ne relaie pas le printemps arabe.
