Idées
Démystifier le rôle de l’incitation fiscale
Toutes les études effectuées par les organisations internationales montrent que la fiscalité arrive, selon les cas, entre le 5e et le 8e rang parmi les facteurs attractifs de l’investissement. Pour Abderrahmane Ouali, les véritables incitations résident dans l’existence d’un marché où peut s’exprimer une demande solvable.

Malgré les expériences du passé au plan du rôle de la fiscalité en politique économique, tant au Maroc qu’ailleurs, on continue à accorder à l’instrument fiscal un rôle incitatif. Régulièrement, j’entends par-ci, par-là, des doléances de réduction fiscale pour «formaliser l’informel» (l’expression n’est pas de moi) ; encourager l’introduction en Bourse ; développer le logement social ; baisser les prix des médicaments (TVA ou TIC, etc. ) ; attirer les investissements étrangers, etc.
Or, l’expérience montre que de telles démarches n’aboutissent qu’à créer des distorsions et des inégalités qui s’ajoutent à celles de nature structurelle et systémique, sans atteindre les objectifs pour lesquels les incitations ont été conçues.
Qu’on en juge par les résultats des différentes incitations précédentes : pêche, immobilier, exportations, investissements industriels, régionalisation de l’investissement, etc.
Dans certains cas, on est même arrivé à des conséquences perverses (gabegie dans le secteur de pêche, spéculation immobilière, situation de mise en faillite….).
Toutes les études effectuées par les organisations internationales montrent que la fiscalité arrive, selon les cas, entre le 5e et le 8e rang parmi les facteurs attractifs de l’investissement.
Les véritables incitations résident dans l’existence d’un marché liée aux solutions à apporter aux problèmes structurels de la demande intérieure et extérieure et aux capacités d’une offre à qualité-prix raisonnable.
Revenons sur les exemples précédents !
Le secteur dit «informel» relève d’un véritable amalgame. On a l’impression que l’on mélange entre, d’une part, des activités qu’on peut qualifier de populaires ou artisanales, qui constituent de véritables soupapes d’équilibre social et méritent d’être encadrées et appuyées, et, d’autre part, des activités qui doivent être qualifiées d’illégales et que l’Etat doit combattre au lieu de leur donner des incitations fiscales au prétexte de les «inciter» à observer la légalité.
L’introduction en Bourse nécessite d’abord que l’entreprise réponde aux critères qualitatifs au niveau du processus de fabrication et de la certification, de l’audit juridique, fiscal, financier et comptable. Si ces critères et les normes auxquelles ils doivent répondre ne sont pas réunis, à quoi servirait l’incitation fiscale ? De plus, l’entrée en Bourse est un choix de financement manifesté par les dirigeants, dans un souci d’équilibre de financement entre crédit et marché financier, dont l’essence est dans la réglementation monétaire et bancaire et non d’ordre fiscal (voir à cet égard les accords de Bâle II).
Le logement social et la lutte contre l’habitat insalubre est un problème de pouvoir d’achat, de moyens financiers tout court, et de spéculation immobilière qui a renchéri outre mesure les prix des terrains, spéculations dont les causes auraient pu être éradiquées par l’Etat. De plus, il y a bien eu des incitations fiscales à l’immobilier (programme des 200 000 logements) qui ont plus servi à développer le «noir» qu’à faire profiter les petites, voire les moyennes bourses.
Les véritables incitations résident dans l’existence d’un marché, intérieur ou international, où peut s’exprimer une demande solvable. C’est d’ailleurs la démarche de tous les gouvernements devant la crise internationale.
Or, l’histoire des faits économiques et de la pensée économique, ainsi que les différentes théories économiques nous enseignent que les mécanismes du marché, pour être rationnels et optimaux, ne doivent pas souffrir de distorsions notamment au niveau de la formation des prix et de la répartition. Aussi, la fiscalité doit-elle éviter de créer de telles distorsions et se consacrer à remplir son double rôle fondamental :
celui de procurer à l’Etat les ressources nécessaires au financement de ses activités, dans un souci d’allocation optimale des ressources ;
celui de corriger par une démarche rationnelle de redistribution, les inégalités engendrées par le marché dans la répartition de la valeur ajoutée.
Il ne s’agit pas, par conséquent, de multiplier les incitations fiscales, comme cela s’est passé auparavant (au moment où nous étions en train d’élaborer les textes de la réforme fiscale, on a parallèlement multiplié les codes d’investissement jusqu’à 6 ou 7), mais plutôt anéantir la dépense fiscale. C’est ainsi que la mise en place d’une fiscalité rentable financièrement, efficace économiquement et équitable socialement pourrait être envisagée. Une telle fiscalité, avec une politique de formation rationnelle des prix et des marges et des circuits de distribution sains et organisés constituent les piliers d’une politique économique et sociale de croissance et de développement, dans le cadre d’une économie libérale de marché responsable. La liberté d’entreprendre et de consommer demeure une des libertés les moins bien assurées et défendues, principalement en raison de la très grande inégale répartition des ressources économiques et culturelles. Il est de la responsabilité des Etats de l’établir et de l’assurer. D’où le choix des politiques économiques, sociales et culturelles qui garantissent les mécanismes d’une équitable répartition. La crise internationale et ses ondes de choc montrent bien la responsabilité des pouvoirs politiques à contrecarrer les excès de l’industrie financière durant ces vingt dernières années. Tirons les leçons, laissons à la fiscalité son rôle fondamental et assurons des prix et des marges raisonnables, pour ne pas prendre aux citoyens d’une main, le double ou le triple de ce qu’on lui donne de l’autre.
