Idées
Daniel Gros : La fin de la maison de vos rêves
BRUXELLES – La crise financière qui a débuté en 2007 trouve son origine dans les excès du marché immobilier, des excès qui n’ont toujours pas été résorbés en 2010 – et qui devraient continuer à perturber l’économie en 2011 et au-delà . Tout le monde connaît aujourd’hui les fameux « subprimes » américains, les crédits hypothécaires à risque. Mais il est trop facile d’oublier que dans un premier temps, cette évolution du marché était bienvenue parce qu’elle permettait à des personnes qui n’auraient normalement pas accès à un prêt hypothécaire d’envisager l’achat d’une maison. Les prêts « subprime » ont permis au rêve américain de devenir réalité.

Bien sûr, des millions de personnes dans le monde partagent ce rêve. Mais la manière dont les marchés immobiliers sont organisés diffèrent énormément d’un pays à l’autre et ces différences expliquent les récents déséquilibres mondiaux et les krachs financiers.
Dans les pays avancés, la construction de nouveaux logements n’ajoute chaque année qu’une petite part au parc immobilier existant. Avec un taux de natalité stagnant (ou en déclin dans plusieurs pays européens et au Japon), les logements existants sont échangés entre différentes catégories de la population, en général des plus âgés aux plus jeunes.
La situation est différente dans les économies émergentes où la qualité et la quantité de logements existants sont très largement insuffisantes. La majorité des logements tendent de plus à se situer dans les zones rurales, alors que la plupart des emplois se trouvent dans les villes. C’est pour cette raison que l’urbanisation a entraîné une explosion de la construction dans les économies émergentes. La Chine en est, comme d’habitude, l’exemple le plus extrême, avec plus de la moitié de la consommation mondiale de ciment.
Devenir propriétaire de son logement est donc un rêve bien vivant – et une force économique puissante – dans les pays émergents. Mais les marchés hypothécaires de ces pays sont en général peu développés. Cela signifie par exemple que les jeunes couples chinois doivent épargner une part importante de leurs revenus comme acompte pour leur maison de rêve (en général un appartement dans une tour). L’absence de prêts hypothécaires sans acompte préalable explique peut-être davantage le taux d’épargne élevé de la Chine que la morale confucéenne. Et un moyen sûr de réduire ce taux d’épargne serait de développer un marché hypothécaire en Chine similaire à celui des Etats-Unis.
Les Chinois et autres doivent toutefois garder à l’esprit le fait qu’une augmentation du prix des logements n’enrichit pas un pays. Chaque propriétaire se sentira bien sûr plus riche si le prix de son logement augmente. Mais si les prix de tous les logements augmentent en même temps, le pays ne sera pas plus nanti. Il faut bien que chacun se loge, donc toutes choses étant égales par ailleurs, obtenir un prix plus élevé revient à payer plus cher pour son prochain logement. Les booms immobiliers ne créent ainsi qu’une illusion de richesses, mais une illusion suffisamment convaincante pour entraîner une consommation excessive, comme celle dont les Etats-Unis ont fait l’expérience au cours de la dernière décennie.
Inversement, un krach des prix de l’immobilier ne détruit pas de richesse véritable (les maisons sont toujours là). Au contraire, un krach facilite l’accès à la propriété, au bénéfice des primo accédants – en général les jeunes et les moins riches.
D’un point de vue économique, la proportion de propriétaires par rapport à la proportion de locataires n’est pas très importante. Si le marché locatif est bien développé (comme en Allemagne, par exemple), une majorité de familles peut décider de ne pas être propriétaire. Mais les Allemands sont quand même indirectement propriétaires des logements qu’ils occupent, par le biais de leurs investissements dans des compagnies d’assurance et des sociétés d’investissement et de crédit immobilier qui possèdent et gèrent une grande partie du parc immobilier du pays.
Également d’un point de vue économique, on peut dire qu’une grande partie des ménages américains loue en fait leurs maisons au gouvernement chinois. Ils sont peut-être des propriétaires sur le papier, mais leurs hypothèques sont en toute probabilité garantie par des institutions quasi-gouvernementales comme Fannie Mae et Freddie Mac, qui à leur tour s’appuient sur les capitaux chinois pour leur refinancement.
Le vrai risque se présente quand tout le monde est convaincu qu’un investissements dans l’immobilier est le meilleur moyen d’assurer son avenir parce que les prix ne peuvent que grimper. Cette situation incite les prêteurs à accorder non seulement des prêts dit NINJA ( no income, no job, no assets), c’est-à-dire des prêts accordés à des gens n’ayant ni revenu, ni travail, ni actifs, mais également des prêts généreux aux promoteurs immobiliers pour construire des résidences et des lotissements toujours plus grands.
Tant que dure le boom, tout le monde en profite. Mais quand la bulle éclate, les emprunteurs NINJA ne peuvent payer le service de leur dette et les constructeurs font faillite. Les prêteurs découvrent que le collatéral (des maisons vides ou à moitié construites) ne vaut presque rien, provoquant des pertes gigantesques du secteur bancaire (comme cela s’est produit aux Etats-Unis en 2008). Dans certains cas extrêmes, comme en Irlande (espérons que l’Espagne ne sera pas le prochain pays sur la liste), le sauvetage du secteur bancaire conduit le pays entier à la faillite.
Les booms immobiliers peuvent durer assez longtemps, en général plus d’une décennie. L’envers de la médaille est que l’immobilier étant un bien durable, les krachs durent tout aussi longtemps. Une fois que trop de logements ont été construits, l’offre excédentaire déprime le marché pendant très longtemps et les travailleurs du bâtiment éprouvent en général des difficultés à trouver du travail dans un autre secteur.
La dernière décennie a connu un boom immobilier sans précédent dans la plupart des pays riches. L’effondrement du marché, avec son cortège de difficultés bancaires et de chômage, devrait durer tout au long de la prochaine décennie, ralentissant la croissance dans tous les pays qui semblaient en si bonne voie en 2008.
Les économies émergentes ont quant à elles à peine entamé leur boom immobilier, qui est de plus étayé par un excédent de liquidités provenant des Etats-Unis. Le boom de ces pays, avec la construction de centaines de millions de logements, pourrait bien se poursuivre pendant dix ans ou plus. Le prochain effondrement ne pourra lui être évité que si les marchés émergents gèrent mieux leur rêve de propriété que les États-Unis et l’Europe.
Copyright: Project Syndicate, 2010.
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Traduit de l’anglais par Julia Gallin
