Idées
Crise : un plan ou juste des mesures ?
un plan de relance de grande envergure, combinant des outils de régulation et des mesures diversifiées, étalé sur plus d’un semestre s’impose dès aujourd’hui. Il était fondamental d’agir en urgence et d’adresser des signaux aux agents privés. Mais il faut plus de vigueur pour insuffler de
la confiance.

Annus horribilis. C’est en ces termes, bien latinisés, que la presse internationale qualifie le profil économique et social de 2009. Le monde et l’Europe de notre proximité sont sous le choc. La récession qui s’est annoncée sera peut-être la plus sévère depuis quarante ans. Et chez nous ? Après avoir longtemps glosé sur la résilience de notre économie, nous prenons la mesure des risques. Les chefs d’entreprise anticipent une décroissance des ventes et réajustent leur production et leurs effectifs à la baisse. L’investissement des entreprises est bridé par une trésorerie bancaire asséchée. La Bourse persiste dans sa plongée malgré les programmes de rachat d’actions. Les ménages voient fondre leur patrimoine immobilier et financier et craignent pour leur épargne. La dépense risque d’être rongée par une inflation encore persistante. De quoi nous réveiller de notre léthargie, quelque peu entretenue par le don du ciel et l’annonce d’une performance de croissance presque exceptionnelle.
Une cellule de veille vient d’être constituée. Des mesures ont été arrêtées. Face aux grands maux, les grands pays déploient les grands remèdes. Pour combattre le mal, ils ont sorti la grande artillerie. Une injection de ressources à fortes doses. Entre 1,5 et 3% du PIB. Des niveaux d’intervention que les organismes financiers internationaux estiment insuffisants pour stopper la spirale de la chute. La Chine annonce même du 15% du PIB étalés sur trois ans.
Qu’en est-il de nos mesures ? Suffiront-elles à endiguer la première vague de turbulence ? A anticiper la dégradation ? Les mesures proposées par le Grand argentier ont le mérite de la lisibilité : ses priorités sont le soutien à la trésorerie des entreprises et l’appui à l’exportation. L’Etat prend en charge les cotisations versées à la CNSS. Le curseur de l’éligibilité est placé à un seuil de pertes de 20% du CA. Une mesure conditionnée et limitée à une durée de six mois. Il ne sera pas simple d’identifier la relation de causalité entre la baisse du CA et le préjudice subi par la crise. Un fonds de garantie sera mis en place pour permettre aux entreprises d’accéder à la couverture de leurs besoins de fonds de roulement. L’autre volet des mesures est une extension du taux de couverture des risques par les mécanismes de l’assurance à l’export. Concrètement, la palette des mesures n’est ni étendue, ni diversifiée. Il s’agit d’un stimulus budgétaire ciblé, rapide et temporaire. La réaction gouvernementale était nécessaire, car la menace n’est pas mince. Les modalités de cette réaction se devaient d’être adaptées. Toute réponse à une crise doit être proportionnée à sa gravité. Tout porte à croire que dans l’optique du gouvernement, il s’agit de résoudre les effets d’un choc externe intervenant sous un ciel serein, c’est-à-dire dans un contexte porteur. Il suffit donc, pour le moment, de se concentrer sur la relance de l’exportation.
Pourtant, à voir la consistance des mesures arrêtées par le gouvernement, on peut se demander s’il a bien anticipé la suite des événements. Cette lecture du contexte n’est qu’une facette de la réalité économique. La conjoncture annonce effectivement un taux de croissance élevé mais le plus dur n’est-il pas devant nous ? La crise n’est pas au coin de la rue mais force est de reconnaître que de lourdes incertitudes pèsent sur l’emploi, les revenus des ménages, la demande intérieure. Comment justifiez-vous des mesures qui mettent l’accent sur la production des entreprises en leur fournissant des moyens de trésorerie alors qu’elles ont surtout besoin de demande interne ? Faute d’intervention conjointe sur la demande interne, l’effet de ces mesures sera limité. On peut arguer que ce n’est pas d’une injection de pouvoir d’achat supplémentaire que nous avons besoin. Le Budget de l’Etat a déjà inscrit des mesures de soutien aux ménages. Une telle mesure serait d’ailleurs inefficace : si vous achetez plus, l’argent ne se retrouvera pas nécessairement dans l’économie marocaine. Pour soutenir l’activité, mieux vaut agir sur l’investissement et sur la trésorerie afin de protéger les entreprises. Quand elles ferment, c’est du pouvoir d’achat en moins ! Oui, mais poussons le raisonnement, le soutien à la trésorerie suffit-il pour renforcer l’investissement ? Ne peut-on envisager une augmentation de l’investissement public ? Les marges de manœuvre de l’Etat sont relativement confortables : le ministre des finances n’a-t-il pas annoncé qu’il actionnerait le levier du déficit au cas où ? Quid de la politique monétaire ? Est-elle d’une grande efficacité dans ce contexte ? La baisse du coût de refinancement auprès du taux directeur de Bank Al Maghrib ne se traduit pas nécessairement par un crédit moins cher pour les ménages et les entreprises. Les banques peuvent profiter du différentiel de taux pour reconstituer leurs marges. Nous touchons là rapidement les limites de cet instrument : la Banque centrale n’a pas vocation à devenir le prêteur en dernier ressort de toute l’économie. Quid aussi de la politique de change ? La pression pour une gestion plus flexible du dirham ne manquera pas de se manifester. Toutes ces questions et bien d’autres tendent à justifier une approche d’ensemble de la crise où la dimension macroéconomique est fortement présente. Voilà pourquoi un plan de relance de grande envergure, combinant des outils de régulation et des mesures diversifiées, étalé sur plus d’un semestre, s’impose dès aujourd’hui. Il était fondamental d’agir en urgence et d’adresser des signaux aux agents privés. Mais pour inverser les anticipations pessimistes, il faut plus de vigueur pour insuffler de la confiance. Une confiance qui serait capable de fédérer les énergies et de préserver de l’avenir.
